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Tango à Casablanca au Maroc

Avec Simo Khalili le Tanguero

Par Évelyne Abitbol

L’ALEPH, ou le commencement c’est en mathématiques « le nombre d’éléments d’un ensemble infini » ; c’est le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers vus sous tous les angles ; c’est la métaphore d’un savoir impossible faisant se croiser toutes les disciplines ; c’est une référence à la nouvelle de Borgès, cet aveugle écrivain visionnaire. In Carrés magiques

Nous poussons la porte du Kimmy’z ce célèbre restaurant – bar situé sur la rue Najib Mahfoud à Casablanca. 

Les notes puissantes de la pièce classique Loca de Juan D’Arienzo me saisissent immédiatement. Les larmes me montent aux yeux comme chaque fois que j’écoute du tango. Encore plus lorsque je ne m’y attends pas puisque ce diner était une surprise. J’aperçois 5 ou 6 couples qui évoluent sur la piste de danse. Je n’en crois pas mes yeux! Du tango à Casablanca!

Le tango, c’est cet espace de danse dans l’univers où, malgré la géographie, l’histoire et les tumultes révolutionnaires, il y a la possibilité d’un re-commencement selon les différentes périodes entre le XXe et le XXIe siècle. 

Et le tango revit après la malencontreuse Covid qui imposait une distanciation sociale et physique de deux mètres. Vous vous doutez bien qu’en dansant le tango, il était impossible de maintenir une distanciation physique.

Tango au Kimmy’z

J’identifie immédiatement sur la piste du Kimmy’z un danseur plus professionnel que les autres. J’apprends son nom : Simo Khalili.

Notre serveur me demande si j’aime le tango. Je lui explique que je le danse depuis 1992 mais que je n’avais pas vraiment dansé depuis 8 ans à la suite de mon remplacement de genou après un accident de ski.

Il ne fait ni une ni deux et va demander au danseur professionnel de m’inviter.

Je préviens alors mon cavalier de mon handicap et d’être aussi compréhensif que possible. 

La crainte de me blesser disparait dans les premières secondes. La délicatesse d’exécution de Simo, sa parfaite maîtrise des pas, son assurance à évoluer sur la piste, ses signes pour me guider font que toutes mes appréhensions se sont envolées.

Cette soirée au Kimmy’z restera à jamais gravée dans ma mémoire. Je recommençais, après 8 ans et plus d’absence à danser le tango, ma passion, dans ma ville natale et ceci, grâce à un cavalier délicat qui danse avec sa partenaire, ne s’exécute pas comme tant d’autres à enchainer figures sur figures au point de déstabiliser l’autre.

Au cours de la soirée, les autres tangueros et tangueras m’étaient présentés. Je dansais la milonga avec un homme très aimable, Turc d’origine. C’est ainsi que je connectais avec les tangueros du Maroc et que je retrouvais dans ma ville natale mon univers tango si longtemps relégué aux oubliettes à Montréal. 

Le Seaman’s

J’apprends que le groupe se déplace le lendemain soir vers le Seaman’s, un des plus vieux bars américains de Casablanca. Je me souviens en entrant dans le lieu que mon père et son orchestre, Le Blue Star, y jouaient autrefois. Soirée nostalgie, je reconnais les racoins du lieu. Il y a peu de monde. Pas autant que la soirée précédente au Kimmy’z. Mais la piste était toute à nous.

Simo me fait danser en y ajoutant un peu plus de figures que la veille. Je reprends un peu plus confiance en mon équilibre et en mon genou. Puis, entre les danses, j’apprends à connaître quelques tangueros et tangueras casablancais. L’une, professeur de Tai Chi, l’autre de yoga, l’autre restauratrice, etc. 

Vous vous demandez sûrement comment un Marocain d’un milieu modeste est arrivé dans le milieu du tango? 

Le père de Simo Khalili travaillait à la Casa Del Arte. Tous les soirs, Simo allait le chercher à la porte et rentrait dans la maison de l’art pour le plaisir d’écouter de la musique ou pour assister discrètement aux différents cours de danses qui se donnaient dans ce lieu qu’il « disait magique, un lieu qui le faisait rêver ». Son rêve de prendre des cours prenait toute la place dans sa vie. Mais voilà, il n’en avait pas les moyens. Ses parents non plus. Si bien qu’une fois les salles vides, il se projetait en tentant de reproduire les gestes et postures et pratiquait seul ce qu’il avait observé incognito dans l’encadrement de la porte les quelques heures précédentes. 

Il finit par prendre des cours grâce à la Casa Del ARTE et à Vanessa Maestre et Jorge Rodriguez. Les deux Argentins ont vite saisi le talent indiscutable de Simo et lui ont donné la chance d’apprendre et de participer aux Festivals de Tango annuels. 

De fil en aiguille, et de maestros en maestras, Il finit par parfaire son tango et faire des stages avec des maîtres internationaux de tango comme Yvan Terraza et Sara Grdan à donner des cours et ouvrir sa propre compagnie de tango : Let’s Dance in Morocco. 

La Covid

Arrive la covid. Comme tous les citoyens du monde issus des milieux modestes, Simo, le professeur de tango, a tout perdu dès le début. Avant l’annonce de la pandémie, il rénovait un local pour se consacrer entièrement au Tango avec la ferme intention d’ouvrir une école, une milonga, un lieu où les tangueras, les tangueros marocains et les invités internationaux se retrouveraient enfin régulièrement. 

Le Maroc, comme par ailleurs le reste du monde, s’est alors mis sur pause pendant deux ans. 

Il a tout perdu! Les investissements, les achats de matériaux pour refaire le plancher, la peinture du local et l’espoir de se consacrer tout entier à cet art qu’il vénère et qui l’habite. Le tango! Sa vie! 

Comme il est le soutien familial dont dépendent de lui, son père, sa mère, son frère et sa sœur, il s’est mis à vendre du poisson en pensant : les gens vont continuer à se nourrir alors autant travailler dans ce sens. Sa routine : il se lève à 4 h du matin pour se rendre au port acheter les sardines fraichement pêchées pendant la nuit, qu’il vend dans les rues de son quartier durant la journée. 

Puis avec les restants de sardines, le soir, il prépare du poisson haché frit sur charbon de bois qu’il vend en sandwichs. C’est ainsi que sa famille et lui ont réussi à survivre pendant la covid jusqu’à aujourd’hui. 

Le re-commencement 

Dès le début février 2023, il offrira des cours privés de tango les week-ends et il donnera des cours de tango les dimanches à l’École de Danse Zinoun, non loin du Kimmy’z sur la même rue, Najib Mahfoud. Il limitera ses cours à quelques couples pour commencer. Michèle et Lahcen Zinoun ont décidé de lui permettre de se refaire dans l’art de la danse en lui donner une chance de s’y consacrer entièrement. 

Simo continue à vendre du poisson, des sandwichs de poissons hachés frits le soir et à organiser des soirées tango au Kimmy’s pour le moment, les jeudi soir uniquement. 

Si la chance lui sourit, il ouvrira sa propre milonga, donnera des cours d’initiation, privés, de groupe, et invitera des maîtres à venir au Maroc donner des ateliers spécifiques de danse à la communauté tango grandissante.  

Un autre de ses grands rêves est celui de commencer à voyager quelques semaines par années pour donner des cours ailleurs et ainsi connaître les différentes communautés tango internationales. 

Le tango survit différemment après chaque tumulte et se renouvelle dans la modernité. 

L’Humanité se cherche derrière les soubresauts socio-économiques. Après les chaos, un ordre s’établit, un certain équilibre s’installe. 

Le tango n’y échappe pas. 

Pour rejoindre :

Simo Khalili

+212 68 74 21 02 1

Courriel : Simotangos@gmail.com

Instagram : @moroccotangoin

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