Rencontre avec les élèves de l’École de douar Shib à Marrakech
L’année dernière lors de mon passage au Maroc, à Marrakech, Mme Rabea Alaoui Bennouna, ambassadrice de bonne volonté du Cercle des diamants, m’amenait assister à un hommage rendu à M. Hubert sur le site de Atlas Kinder. Hommage que je décris ici : Être marocain, une expérience humaine.
Pour donner suite à ma proposition d’enseigner le français et l’expression dramatique aux enfants des villages aux alentours de Marrakech, j’ai recontacté Mme Bennouna, qui m’a suggéré de venir au début du mois de mai enseigner à l’École Shib du douar du même nom, plutôt qu’à Atlas Kinder, car les enfants étaient en vacances.
Dès mon arrivée, le 6 mai, je ne pouvais pas croire qu’une école se trouvait au bout du chemin de terre que nous avions emprunté. Derrière de petites portes bleues, desquelles dépassait une petite éolienne/maison pour capter les mouvements du vent et fournir une énergie domestique avec un panneau solaire surélevé, se trouvait l’école Shib.
Arrivée un samedi, oui, un samedi, croyez-le ou non, les enfants étaient dans la cour de l’école et m’attendaient. Ils étaient de tous les âges à partir de 8 ans jusqu’à 16 ans.
J’ai fait la rencontre ce matin-là d’une trentaine d’élèves dont le niveau de compréhension du français oral et écrit était très faible.
Je me suis présentée et je leur ai demandé de se présenter individuellement. Puis j’ai réajusté le tir en leur demandant de nommer un délégué/porte-parole par table afin de présenter ses camarades.
Autre consigne : de prendre des notes sur les présentations de leurs camarades afin d’en prendre l’habitude.
Nom – prénom – âge et le métier qu’ils souhaitent exercer plus tard.
Je vous fais une synthèse ici de leur ambition de carrière : beaucoup de futurs policiers – maitresses d’école de français, d’anglais, géographie, – informaticien – fermière – docteurs : ophtalmologue – vétérinaire, infirmière, styliste…
J’avais préparé une série de cours puisque je devais rester avec eux 7 jours de suite. Dès le début, je m’apercevais du faible niveau de français pour plusieurs d’entre eux et pour d’autres de l’absence de compréhension orale du minimum. Je ne me décourageais pas et décidais d’adapter ma préparation du cours à leur niveau.
Puis j’inscrivais au tableau une phrase qu’ils devaient compléter :
- Pour moi, le plus important dans la vie c’est …
J’ai obtenu des réponses étonnantes et rigolotes telle que :
- Manger – dormir et mon portable
Mais les réponses qui revenaient le plus souvent étaient : en premier, la famille, en deuxième la vie ou l’école à égalité et en troisième la télévision.
Dès cette première approche, j’identifiais les enfants doués et surdoués. Liste qui m’a été confirmée pendant la rencontre avec les enseignants de l’école.
J’avais préparé un ensemble de cours basés sur le livre d’Antoine de Saint-Exupéry, le Petit Prince. Et au cours de la semaine, je changeais mon approche pour varier entre des exercices écrits, des dictées spontanées, des compréhensions de lecture, toujours basés sur le Petit Prince ou même des dessins en rapport avec l’idée développée pendant le cours. Je constatais que tout travail basé sur le par cœur était maîtrisé, la conjugaison des verbes, etc. L’expression orale ou écrite était difficile pour eux.
Pendant une des pauses de récréation, j’apercevais un triporteur dans la cour. En m’approchant, je constatais que le triporteur était en fait une bibliothèque mobile. Tous les lundis, le triporteur se rend dans les maisons du douar aux alentours pour changer les livres et les rapporter dans la petite bibliothèque de l’École. Ainsi, les parents et autres enfants de la famille, ont accès à la bibliothèque.
Je pourrais vous raconter des tas d’anecdotes qui ont eu lieu pendant la semaine, j’en aurais pour des dizaines de pages. Une dernière pour vous illustrer la volonté de ces enfants, d’apprendre et de réussir.
Je leur ai demandé de m’écrire trois lignes sur le thème :
Pour quelles raisons les abeilles sont importantes?
Je constatais le jour suivant l’absence de nombreux élèves puisque je recevais le matin des groupes en alternance un jour sur deux, groupés selon leur âge et leur niveau. Ils étaient tous partis visiter l’exposition d’arts visuels en cours à l’Institut français de Marrakech.
En entrant le jour suivant en classe, je suis envahie de toutes parts par les enfants qui me présentaient leur travail. Non pas 3 lignes comme je le leur avais demandé mais une recherche complète avec illustrations, photos, coloriages, etc. de l’importance des abeilles dans notre vie.
J’apprends plus tard par le directeur que quelques élèves sont revenus à l’école après leur sortie à l’Institut Français pour effectuer une recherche sur les ordinateurs de la salle multimédia et ce, jusqu’à 23 heures pour certains d’entre eux. Vous préciser que je n’ai noté aucun des travaux demandés de la semaine. Les enfants le savaient.
M. Saâd Baddou, Fondateur de l’association Aghbalou de Tamesloht, Mohamed Kaab, directeur de l’École, et quelques enfants de l’École Shib du Douar.
Au cours de la semaine, j’ai rencontré un donateur américain, nous l’appellerons Ryan. J’ai servi d’interprète en anglais pour sa visite des installations d’aires de jeux ou de gymnase extérieurs dans les écoles aux alentours. Son expertise et ses dons servent à construire des barres parallèles, des balançoires et des échelles horizontales pour permettre aux enfants de s’entrainer et se dépenser pendant la récréation. Il était venu à Marrakech pour évaluer l’avancement des travaux dans certains établissements, particulièrement dans celui du collège du douar, où il a recommandé d’allonger les installations pour les plus grands. Il annonçait qu’il ajouterait un certain montant pour ces ajouts.
Son ambition : celui de construire des installations de jeux extérieurs dans toutes les écoles du Maroc et de Thaïlande. J’étais si étonnée de voir les enfants, filles aussi bien que garçons, faire la file pour s’agripper aux échelles horizontales à 35 degrés au soleil
J’en ai été ravie et je me rendais compte que plus la semaine avançait et plus je m’attachais à l’ambiance, et à l’ambition de réussir des enfants. Je sentais que si, je repartais, je les abandonnerais.
Aussi, j’ai décidé d’écrire ce texte pour illustrer les besoins d’éducation d’enfants moins favorisés.
Pour la petite histoire. Vous dire que, derrière cette école et ces enfants, il y a de nombreuses initiatives, à commencer par la volonté du Fondateur de l’Association Aghbalou pour l’Éducation. Ceux qui vivent au Québec (Canada) depuis de nombreuses années ont connu le merveilleux ambassadeur du Maroc au Canada et homme de grande culture qu’était feu Tajeddine Baddou.
Eh bien, c’est son frère, aussi diplomate de carrière, M. Saâd Baddou, qui est à l’initiative de cette aventure d’éducation.
J’ai eu le grand privilège de le rencontrer à la fin de la semaine. Il m’a beaucoup fait penser à feu son frère : la même étincelle dans le regard qui s’anime lorsque nous discutions de projets d’éducation, de culture, la même voix, le même physique. Il m’a raconté le pourquoi du comment est née l’idée de construire une école de douar et soutient que tous ceux qui vont à la rencontre des enseignants, du personnel de l’école, sont pris d’affection et du désir de s’investir pour le développement et dans l’éducation de ces enfants et adolescents si attachants.
L’actuel ministre de l’Éducation nationale, M. Chakib Benmoussa, soutient les initiatives de développement des écoles des douars. Ce qui ravit M. Babbou qui n’a pas l’intention de baisser les bras et souhaite poursuivre sur « cette lancée avec le ministère en insistant sur l’ouverture des écoles sur les familles, sur les autres cultures, sur l’organisation d’échanges avec d’autres pays, etc. »
J’ai quitté l’école, à reculons, avec la promesse faite aux enfants de revenir les voir et leur enseigner chaque année pendant quelques semaines, histoire de constater leur avancement pour qu’ils poursuivent « leurs désirs et leurs plans de carrière ».
Plusieurs enfants m’ont dit qu’ils se trouvaient chanceux de pouvoir aller à l’école. Ils ont l’ambition de réussir et pour cela, ils sont épaulés par, non seulement des associations mais par des leaders associatifs, des enseignants dédiés, des coachs qui leur donnent les outils et les moyens d’y parvenir.
Et le plus merveilleux dans tout ça est qu’ils en sont conscients et reconnaissants envers quiconque ajoute à leur soif de connaissance.
Ce serait si formidable si la communauté marocaine à l’étranger, en collaboration avec les officiels, contribue à l’avancement des enfants des douars au Maroc. En leur envoyant des fournitures scolaires, des livres, ou sous forme de dons d’argent même les petites sommes sont bienvenues.
Et pourquoi pas faire de l’École Shib, un modèle et un exemple, en la considérant comme une école pilote pour l’avancement de l’éducation dans les douars marocains.
Évelyne Abitbol – journaliste – auteure et co-scénariste