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Victoire électorale du PJD : Une équation pour une coalition

Gouvernement marocain 2012

La victoire du parti de la justice et du développement aux dernières élections législatives est une première dans l’histoire politique du Maroc. Cette réussite couronne un processus inauguré par le discours royal du 9 mars 2011 qui répondait à la pression d’une large frange du peuple marocain revendiquant des réformes urgentes. Devant tant de mécontentement, la montée de ce parti était imminente, la chute des partis de la Koutla et surtout de l’USFP traduisent finalement la situation d’un paysage politique marocain nébuleux, dont les repères écartelés ont plus que jamais besoin de concertation. Ainsi, les résultats de ces élections traduisent non seulement une sanction contre certains partis, mais aussi l’aspiration de tout un peuple à une ère nouvelle, celle de la démocratie et de la justice sociale.

La moralisation de la vie publique

Pour autant que le PJD ne s’est pas encore compromis dans des scandales, il est évident qu’il tire sa popularité de la moralisation de la vie publique, entre autres, qui l’a porté au devant de la scène. Abdelilah Benkirane a déjà donné le ton en allant de pied ferme avec une austérité budgétaire et l’instauration d’un sang neuf au sein du gouvernement en réduisant de ce fait le nombre de ministres. Rassurant, Benkirane compte sur l’évolution d’un Maroc qui évolue sur la même longueur d’onde que la monarchie, sans bailleurs de fond, et à cheval sur les principes de la justice sociale. Moraliser la vie publique suppose une prédisposition de tous les partis à jouer leur rôle de médiateurs pour assainir le climat actuel, et cela ne peut se faire sans œuvrer à rendre audible la voix de l’opposition, et en prenant aussi conscience du rôle de la bonne gouvernance dans la gestion des affaires. Il a déclaré récemment aux médias occidentaux : « l’essentiel de notre programme et de ceux qui vont gouverner avec nous aura deux axes : la démocratie et la bonne gouvernance ». La notion de la démocratie est ainsi appelé à cohabiter avec celle de justice sociale, encore faut-il faire de la bonne gouvernance un objectif stratégique inclusif de toutes les tendances et rester surtout fidèle à l’esprit du PJD et son idéologie fondatrice comme parti islamiste.

De la politique et de la coalition

En terme de coalition, le PJD est appelé à surmonter d’abord ses propres contradictions en faisant de l’objet de ses consultations un levier de compensations entre toutes les tendances politiques, de façon à en former une mosaïque capable d’endiguer le mécontentement du peuple. Le nouveau chef du gouvernement, en tentant de rallier tout le monde autour d’une monarchie unificatrice, ne peut avoir des résultats probants qu’en appliquant sciemment le programme proposé lors des élections. Ceci ne sera pas évident dans l’immédiat tant que l’assainissement de la vie politique et publique n’est pas abordé avec des programmes sérieux. Cela dit, les coalitions ne doivent pas occulter le mouvement du 20 février. Or, malgré la discorde dans les rangs de ce mouvement, il y a lieu d’établir que le paysage politique marocain sera éventuellement dominé par trois grands acteurs : la monarchie, le PJD et le mouvement du 20 février.

La question serait de voir comment ce mouvement s’organisera dans ce nouveau paysage politique et comment il restera dans la même tendance contestataire du printemps arabe. La question aussi serait de savoir comment les islamistes du PJD continueront de composer avec le roi qui conserve encore de larges privilèges mandatés par les clauses de la nouvelle constitution, et comment ils devraient composer avec des technocrates libéraux issus des autres partis politiques, et qui auront pour ligne directrice de s’ouvrir à un monde dont les pratiques usuraires dans le monde de la finance internationale risque de contrer l’idéologie du parti.

De la cravate et de l’élu

Parmi les leaders du monde qui abhorraient le port de la cravate, citons le père de la charte des droits et des libertés canadiennes Pierre Elliott Trudeau. Bousculade de l’image de l’homme politique figé ou souplesse intellectuelle? Si le style fait l’homme, l’homme ne fait-il pas le style?

Du coté de chez les marocains, Abdelilah Benkirane a avoué ne pas savoir nouer une cravate.  Il aurait bien pu insinuer qu’il n’aime tout simplement pas porter la cravate, ou qu’il lui arrive de la porter très rarement, mais il n’a pas fait dans la langue de bois. Or, sans nous enfarger dans les suppositions psychanalytiques où l’étiquetage risque d’être de mise, il va sans dire que la spontanéité de l’élu l’emporte dans un tel contexte. Dans un récent sondage effectué auprès des citoyens marocains, 82% avouent qu’ils font confiance au PJD grâce au sérieux et à la fiabilité de son engagement, mais aussi à la simplicité de ses leaders. Il serait enfin judicieux que le PJD agrémente ses approches par plus d’ouverture envers le peuple, toutes appartenances et confessions confondues et sans discrimination aucune, et aussi par les vertus du travail, sans cesser de barrer la route à tout ces satrapes, techniquement imbus de leur apparence, et qui tiennent mordicus à leurs privilèges.

Le PJD peut-il réussir dans ses coalitions et sa nouvelle mission? Cela dépendra de sa capacité à contenir la rogne sociale du peuple. Cela dépendra aussi de sa capacité à vaincre ses propres contradictions en tranchant entre le populisme et l’allégeance. L’avenir nous dira s’il réussira ce défi, ou s’il finira par entrer dans le moule du makhzen comme les autres partis qui l’ont précédé au pouvoir.

 Kamal Benkirane (Atlas.Mtl 173 du 19 janvier 2012)

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