Montréal est l’hôte, depuis mardi 9 et jusqu’au 14 août 2016, du Forum Social Mondial. C’est la première fois, depuis la création de ce forum en 2001 à Porto Alegre (Brésil), qu’il est organisé dans un pays dit du «Nord». Il est vrai que ce qui reste d’image du Canada correspond aux vues de milliers de citoyens ayant en commun de rêver et d’espérer une société plus juste et plus respectueuse de l’être humain et de l’environnement.
Le Forum est ainsi une sorte de réponse populaire aux rencontres du Forum de Davos, meeting annuel réunissant les grands financiers et entrepreneurs de la planète. Sous la devise «Un autre monde est possible», le Forum entend ainsi faire entendre la voix de la société civile et contribuer, en quelques sortes, à «modérer» les initiatives des «capitalistes» de Davos et les décisions des politiciens. C’est cette maturité atteinte par les animateurs du FSM qui explique que ce rendez-vous est de moins en moins présenté comme «le sommet des altermondialiste».
Avec ses 1 300 ateliers autogérés, présentés par plus de 1 000 organisations de 120 pays – en plus des conférences prononcées par de grands noms comme Naomi Klein, Riccardo Petrella, Chico Withaker ou du Maroc, Driss El Yazami –, le FSM 2016 promet des possibilités de rencontre et de discussion quasi infinies à tous ceux qui ont comme projet de changer le monde. Selon les chiffres fournis par l’organisation, 14 000 participants s’étaient déjà inscrits à la veille de l’ouverture.
Les activités, qui auront lieu principalement au centre-ville, s’articuleront autour de 13 grands thèmes, comme la «défense des droits de la nature et [la] justice environnementale», les «alternatives économiques, sociales et solidaires face à la crise capitaliste» et la «décolonisation et [l’]autodétermination des peuples».
Douze éditions en quinze ans
Le but du Forum social mondial 2016? La discussion et les rencontres. La promotion de pistes de solution davantage que des prises de position. C’est «construire un espace pour que la société civile se rassemble et chemine vers un renforcement mutuel au niveau mondial et local», affirme la co-coordonnatrice du FSM Carminda Mac Lorin. Cette mission n’a pas changé au cours des 12 éditions du FSM en 15 ans, du premier, tenu à Porto Alegre, au Brésil, en 2001, jusqu’au précédent, à Tunis, en Tunisie, l’an dernier.
Le forum montréalais bénéficie en outre d’une «mobilisation assez importante des mouvements sociaux au Québec», commente Roger Rashi, coordonnateur des campagnes pour l’organisme Alternatives, qui organise ou co-organise 16 activités pendant le FSM. «La mobilisation pourrait être plus forte, mais on a vu un réveil dans les six derniers mois du mouvement syndical, communautaire, écologique et altermondialiste en général. Il y a une volonté de participer.»
La devise des FSM est : «un autre monde est possible.» Mais est-ce qu’un autre forum est possible? D’après M. Rashi, plusieurs sujets de critique peuvent être énumérés à propos des FSM.
Autocritique et réorientation
«Est-ce que le forum peut continuer tel qu’il s’est constitué en 2001? Il ne prend pas de position politique ouvertement, précise M. Rashi. Aujourd’hui, en 2016, avec la multiplication des guerres, des conflits civils et sociaux, est-ce qu’on peut continuer en conservant cette attitude-là ou est-ce que le forum devrait regarder la réalité et prendre des positions politiques quand il le faut?»
D’autre part, le FSM de Montréal «soulevait dès le départ de gros problèmes d’équité pour les gens venant du sud», expose M. Rashi. Il déplore l’absence d’un fonds de solidarité qui aurait pu être mis en place afin d’aider financièrement les participants venant de l’étranger et souligne les difficultés pour ceux-ci d’obtenir des visas pour entrer au Canada. Ses craintes se sont avérées fondées, puisque plus de 200 demandes de visas ont été refusées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC); des demandes provenant notamment de têtes d’affiche du forum, comme Aminata Traoré et Imad Temiza.
Pour Carminda Mac Lorin, la question de l’accès est «une problématique à laquelle doivent faire face tous les FSM», qu’ils soient organisés au Canada ou en Inde. Pour ce qui est des visas, «on savait que ça allait être difficile, soutient-elle. On est estomaqués de réaliser que des marchandises peuvent se déplacer librement et que des personnes ne le peuvent pas».
Faible participation
Ces problèmes de visas ne sont pas sans effet : les organisateurs n’ont, à aucun moment, caché leur crainte que le nombre de participants soit plus bas que prévu cette année.
En théorie, plus de 50 000 personnes et près de 5000 organisations étaient attendus pour asseoir le fait que le FSM est le plus grand rassemblement citoyen – et donc non gouvernemental – visant à trouver des solutions aux enjeux avec lesquels le monde est aux prises.
Ces chiffres étaient déjà bien plus bas qu’à toutes les éditions précédentes.
Des « alternatives concrètes »
Regroupant lors de chaque édition des dizaines de milliers de participants venus de plus d’une centaine de pays, le FSM se présente comme le pendant social du Forum économique mondial qui se déroule chaque année en Suisse.
C’est «Un événement festif qui célèbre le rapprochement entre les peuples et la solidarité internationale.» explique Carminda Mac Laurin, co-coordonnatrice du FSM
Il a pour objectif de trouver « des alternatives concrètes au modèle économique néolibéral et aux politiques fondées sur l’exploitation des êtres humains et de la nature », est-il précisé sur son site web.
Le FSM a eu lieu chaque année depuis 2001, sauf en 2008, en 2010, en 2012 et en 2014. La candidature de Montréal pour la rencontre de 2016 avait été retenue lors du FSM de 2015 à Tunis.
Le tout premier FSM, à Porto Alegre, était né d’un refus de laisser les pays riches et les « seigneurs du monde » tout décider entre eux, au Forum économique de Davos, et « continuer à dominer le monde », raconte en entrevue l’un de ses cofondateurs, le Brésilien Francisco Whitaker.
« Il faut aussi que nous, la société civile, ayons notre espace pour dire : “Un autre monde est possible” », affirme-t-il.
« Il ne faut pas laisser les problèmes être résolus d’après la logique de l’argent. Il faut régler les problèmes d’après la logique des gens, c’est à dire des besoins humains, des aspirations humaines, insiste M. Whitaker. Et pas cette chose impersonnelle qui s’appelle “argent”. »
Les activités se tiendront cette semaine à l’Université du Québec à Montréal, au Cégep du Vieux Montréal, à l’Université McGill, à l’Université Concordia, au Quartier des spectacles, à la Société des arts technologiques, au Monument-National et à la Maison de développement durable.
Il avait été momentanément question que l’ancien rival d’Hillary Clinton, l’Américain Bernie Sanders, participe au Forum, mais Mme Mac Laurin confirme qu’il ne viendra finalement pas. Il a toutefois enregistré un message, qui devait être diffusé lors de l’événement.
Les treize thèmes en discussions
1. Alternatives économiques, sociales et solidaires face à la crise capitaliste
2. Démocratisation de la connaissance et droit à la communication
3. Culture de la paix et lutte pour la justice et la démilitarisation
4. Décolonisation et autodétermination des peuples
5. Défense des droits de la nature et justice environnementale
6. Luttes globales et solidarité internationale
7. Droits humains et sociaux, dignité et luttes contre les inégalités
8. Luttes contre le racisme, la xénophobie, le patriarcat et les fondamentalismes
9. Lutte contre la dictature de la finance et pour le partage des ressources
10. Migrations et citoyenneté sans frontières
11. Démocratie, mouvements sociaux et citoyens
12. Monde du travail face au néolibéralisme
13. Expressions culturelles, artistiques et philosophiques pour un autre monde possible