Dimanche 1er mai 2016, les amateurs de musique andalouse, plus exactement de ces rythmes méditerranéens ralliant les peuples du nord et du sud de la Mare Nostrum, reliant l’histoire te le présent des faits artistiques et fusionnant les genres et les styles – en l’occurrence les très classiques musiques andalouses et flamencas – avaient rendez-vous à Montréal, avec les maitres du genre, l’orchestre Chekara Andalusi.
Ce rendez-vous aura constitué un moment de grâce pour les centaines de personnes qui, même sans tambours ni trompettes pour l’annonce du récital, auront afflué vers le Théâtre Maisonneuve.
L’engouement qui s’est ainsi manifesté aura été en tous points égal à ce que le genre musical proposé, une pièce du patrimoine mondial, suscite partout où il est présenté. Un enthousiasme difficile à comprendre lorsque l’on n’est pas un initié ou lorsque que l’on ne connait pas l’histoire, millénaire, de la musique andalouse et celle, cinquantenaire, de l’artiste qui a osé renouveler le genre sans, exercice difficile, trahir les canons établis depuis des siècles
Retour aux origines
Si vous n’avez jamais entendu parler de Ziriab, c’est qu’il vous reste quelques échelons de connaissance à gravir avant de prétendre au titre de mélomane.
Ziriab, que l’on appelait le «Maitre des élégances» est, parmi ceux qui ont donné ses lettres de noblesse à la musique de l’Andalousie heureuse, celui dont l’œuvre a le mieux résisté au temps, au point de venir chatouiller l’éternité.
Abdessadeq Cheqara (1931-1998) était un artiste, à la fois traditionnel et novateur, particulièrement féru de musique classique andalouse mais qui ne répugnait pas à frayer, à partir de sa formation classique avec la musique populaire marocaine. Connu comme le grand maître d’al-Ala (musique andalouse), il était aussi virtuose du violon et du luth.
Et il avait de qui tenir, puisque son père, Abdessalam Cheqara, était un chanteur et musicien à Tétouan, tandis que sa mère, Assoudia Alharrak, descendait d’une famille de poètes, musiciens et philosophes.
Dès son jeune âge, Cheqara a été attiré parla musique et la poésie, peut-être influencé en cela par son père, qui lui a offert très tôt son premier «oud» (luth).
Cheqara , après de solides études en conservatoire, s’est lancé dans une carrière artistique dans laquelle il s’est illustré par ses «mawawil» (solo improvisé) et ses inshad (solo).
Il a ainsi fortement contribué à populariser une musique andalouse, avant lui «réservée» à une élite d’origine andalouse.
Il n’hésitait, dans ses adaptations de la très classique musique héritée de Ziriab , notamment dans ses compositions Chaabi, à diversifier ses sources d’inspirations. On croit ainsi aujourd’hui qu’il a été influencé dans ses œuvres les plus célèbres, par des poétesses et des musiciennes tétouanaises telles Hajja Shili et Hajja Shahba. Dans les années 40 du siècle dernier, ces artistes ne pouvaient en effet se produire devant des hommes ou leur faire partager leurs œuvres. C’est donc Chekara qui a servi de passeur d’art entre les genres. Il n’a d’ailleurs jamais caché ses sources lorsqu’on l’interrogeait sur la teneur et la sensibilité féminine de certaines de ses œuvres, telles que «Ben’t Bladi», dont l’écriture et de toute évidence féminine.
Un artiste, une œuvre…
Très tôt également, Chekara à porté la musique andalouse sur les fronts baptismaux de l’Universalité. Ainsi, dès 1961, il enregistre les huit grandes «nawbas» de musique andalouse en association avec l’ UNESCO.
En 1978, Cheqara a été nommé superviseur général du Conservatoire National.
En 1982, nouvelle réalisation innovante: Cheqara, qui séjourne alors à Grenade, rencontre le professeur Jose Heredia. De cette rencontre naitra justement la chanson-phare «Bent b’ladi», alliance fusionnelle de musique andalouse et de flamenco.
La dimension universelle ne cessera plus dès lors d’être développée. Ainsi, en 1991, Cheqara créera, en collaboration avec le pianiste juif Michael Nyman le CD intitulé ” The Upside-Down Violin ” qui sera enregistré en direct en 1982, lors de l’Exposition universelle de Séville.
Son œuvre occupe aujourd’hui une place particulière sur la scène artistique commune à l’Espagne, au Maroc et dans tout l’ensemble méditerranéen. Grace à l’UNESCO, elle fait aussi partie de l’héritage Universel.
Pour le découvrir, vous pourrez écouter ses chansons et en particulier
«Allah Ihdik Ya Ghzali», «Ana Fi Aarak», la très classique «Ya Bint Bladi», «Ya Ouldi Ya Hbibi», «Alach Katibki», «Al Maoulouaa», «Moulay Abdeslam», «Nar Al Kalb Diali» ou n’importe laquelle de ses 48 autres œuvres, peut-être un peu plus difficile pour une oreille non-initiée.
… et une suite
L’orchestre Chekara n’a heureusement pas disparu avec son fondateur. Aujourd’hui, c’est son neveu Jamal qui a repris le flambeau, avec l’aide des musiciens – marocains et espagnols – et des danseuses et danseurs flamencos qui furent auparavant les complices de son oncle. Et, croyez-nous, la magie a encore opéré, avec force…
Merci Pr Benamar
Ainsi donc, l’Orchestre Chekara Andalousi a donné son premier récital à Montréal. Soixante et cinq après sa création, il était temps.
Et c’est à un esthète montréalais, canadien d’origine marocaine – plus exactement de Tétouan – que l’on doit ce moment de grâce.
Le Pr Mohamed Benamar, universitaire de son état, tenait absolument à amener en partage à ses concitoyens d’ici, un des éléments de sa culture d’origine, une culture née de diversité et d’enrichissements mutuels.
Il l’a fait à ses frais et risques, ce qui n’en est que plus remarquable et méritoire et qui, par le sens de la citoyenneté double et fusionnelle ainsi magnifiée, a fait que la magie à opéré, unissant dans une même euphorie des gens de tous âges, de toutes appartenaces et de toutes confessions.
Pour cela, et pour le plaisir que vous nous avez fait partager, merci, Pr Benamar.
Atlas.Mtl