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Immigration Québec. Comment on tue les compétences

Immigration Québec. Comment on tue les compétencesConfus, inutilement complexes, irréalistes… Les mécanismes de reconnaissance des diplômes et formations des immigrants doivent être revus « en profondeur » selon un rapport du Commissaire aux plaintes de l’Office des professions.

« Les ordres doivent éviter le réflexe de considérer ce qui est différent comme étant moins pertinent et ayant moins de valeur », avance notamment le commissaire aux plaintes André Gariépy dans un rapport déposé en février.

Au Québec, 46 professions sont réglementées par des ordres professionnels (médecin, ingénieur, avocat, architecte, etc.). Pour pouvoir travailler dans leur domaine, les candidats formés à l’étranger doivent obtenir leur accord.

Les reproches du commissaire concernent surtout ce qu’on appelle les « reconnaissances partielles ». Sur les 4500 candidats qui tentent d’intégrer un ordre du Québec chaque année, près de 3000 obtiennent une reconnaissance de leurs acquis à condition qu’ils suivent une formation ou participent à un stage complémentaire.

Or il s’agit d’exigences souvent inaccessibles et d’une durée trop longue, déplore le commissaire. Dès lors, la moitié d’entre eux abandonnent en cours de route, soit l’équivalent de 1300 personnes par an (28 % des candidats).

Pour documenter la chose, le Commissaire a soumis aux 46 ordres professionnels du Québec un questionnaire sur leurs pratiques. Il en conclut que leurs façons de faire doivent faire l’objet d’une « révision d’ensemble ».

À titre d’exemple, certains ordres imposent des examens, entrevues ou stages « automatiquement » et « sans même avoir évalué le dossier du candidat ou de la candidate », écrit-il. Une façon de faire qui « réduit les possibilités » de reconnaissance pour certains d’entre eux.

Cela fait en sorte, note-t-il, que des candidats peuvent « se faire imposer » des formations qu’ils ont déjà eues. Il ajoute que certains ordres « omettent » de mentionner que les candidats peuvent faire réviser une décision.

Ailleurs, il avance que les membres du personnel de certains ordres « ne maîtrisent pas suffisamment le contenu de leurs règlements ou ne les interprètent pas correctement. »

La faute à qui ?

Du côté des ordres, on dit que c’est une « très grande préoccupation », mais que la faute ne leur incombe pas uniquement. « Le problème, c’est l’accès aux stages », avance la porte-parole du Conseil interprofessionnel qui les représente, Gyslaine Desrosiers, elle-même une ancienne présidente de l’Ordre des infirmières. Or il n’y a pas assez de stages offerts, dit-elle. « L’Ordre prescrit le stage en fonction de son règlement, mais n’est pas responsable de le donner. […] Une fois qu’on l’a prescrit, si personne ne veut le donner, qu’est-ce qu’on fait ? On a écrit des lettres et des lettres aux ministères de l’Éducation, de la Santé. […] Est-ce que le ministre de la Santé est préoccupé par les centaines de personnes qui attendent pour avoir un stage ? »

Dans son rapport, le commissaire note en effet que, dans certains cas, « le candidat ou la candidate doit attendre plusieurs mois, voire plusieurs années pour avoir accès au stage nécessaire pour obtenir un permis ». Toutefois, il ajoute plus loin que la problématique des stages ne suffit pas à expliquer l’ensemble des blocages auxquels font face les candidats.

Pour ce qui est du reste, Mme Desrosiers ajoute que les ordres n’ont pas le pouvoir de modifier seuls leurs règlements. « L’Ordre applique un règlement par exemple sur un cours de trente crédits ou un stage de trois mois. Ça, c’est dans un règlement qui est analysé par l’Office des professions et approuvé par le Conseil des ministres, et on ne peut pas le changer de façon unilatérale. »

Interrogé là-dessus, le commissaire aux plaintes concède que les ordres doivent effectivement faire approuver tout changement par l’Office des professions (OP), mais affirme que ça ne les empêche aucunement d’amorcer des changements.

« Ce n’est pas parce que les changements doivent être approuvés par l’Office des professionsque ça ne bouge plus et que ça contraint tout le monde. Les ordres peuvent amorcer des changements. »

Or à cet égard, Mme Desrosiers souligne que certains ordres ont dit en commission parlementaire que des règlements « prenaient des années à être révisés, même après avoir été envoyés à l’Office des professions ». À son avis, il doit y avoir « au plus haut sommet » un fonctionnement interministériel pour des « solutions concrètes ».

Un projet de loi priorisé

Ces divergences se manifestent alors que le Commissaire aux plaintes s’apprête à voir ses pouvoirs accrus avec l’adoption prochaine du projet de loi 98. Ce projet de loi qui vise les ordres professionnels élargit les compétences du commissaire dans le dossier de la reconnaissance des diplômes et formations des immigrants.

Rappelons que le gouvernement libéral a tenu à faire passer le projet de loi 98 en priorité devant le projet de loi 62 sur les signes religieux. Deux semaines après l’attentat de Québec, le premier ministre avait demandé à la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, de consacrer toutes ses énergies à le « bonifier ». « Le [projet de loi] 98, on le remet à l’avant-plan parce qu’il parle d’inclusion. […] Il y a certainement un enjeu d’accès aux professions. Alors, on s’attarde là-dessus », avait-il souligné.

Le projet de loi en est actuellement à l’étape de l’étude détaillée en commission parlementaire, mais dans les rangs de l’opposition on ne voit pas en quoi il va vraiment changer les choses. Selon Carole Poirier, du Parti québécois, le ministère doit aller plus loin et constituer un « guichet unique » pour les nouveaux arrivants. « Il faut faire en sorte qu’ils n’aient plus à cogner à 22 portes », dit-elle en comparant le parcours actuel à une tour de Babel. « Le projet de loi 98 ne va pas régler le problème. »

À la Coalition avenir Québec (CAQ), on dit carrément que le gouvernement a « abandonné les immigrants ». « Ce n’est pas uniquement une responsabilité des ordres professionnels », tranche le député Simon Jolin-Barette. « On n’a pas investi suffisamment de ressources pour les intégrer. Il y a une responsabilité gouvernementale très importante dans ce dossier-là. »

 

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