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Et si on parlait de journalisme?

Abdelghani Dades

Abdelghani Dades

Il fut un temps, pourrait vous raconter Pierre Foglia,  où, dans les salles de rédactions des journaux on travaillait en équipe. On vous assignait un sujet, vous faisiez vos recherches, vous rédigiez et vous soumettiez à votre chef de service qui lisait et approuvait ou en référait au rédacteur en chef ou a son adjoint.

Lorsque le ton ou le contenu soulevait quelque objection, le travail; vous revenait avec des remarques sur remarques lesquelles vous vous prononciez. Et lorsque tout débat était achevé, l’article en question, manuscrit ou tapé à la machine à écrire, s’en allait vers la «production», c’est-à-dire, vers le linotypiste qui allait lui donner sa forme plomb, sans laquelle aucun lecteur n’en aurait jamais eu connaissance. Suivait ensuite les phases correction et révision, puis la mise en page, le «flan», la rotative et le papier enfin…

Tout au long de ce processus, chaque erreur, chaque faute d’orthographe, de grammaire ou de style, mais surtout chaque inexactitude ou entorse faite à la vérité, était impitoyablement traquée et éliminé, non seulement par les «Chevalier de la plume» comme on appelait le personnel de la rédaction toujours généreusement payé mais, surtout, par ceux qui se méritait le nom de «aristocratie ouvrière», les linotypistes, gens aux salaires modestes mais armés d’une vaste culture, premiers lecteurs et critiques redoutables, qui a plus d’une reprise, donnaient des leçons aux journalistes même les plus expérimentés.

Aujourd’hui, plus rien ne va de même. Les nouvelles technologies de la communication ayant pour principale qualité de réduire les coûts, les éditeurs les ont donc adoptées et les ont érigées en mode unique de production. Armés de leur «lap top» et de leur compétence en matière de TIC, les journalistes (nous parlons ici de la presse écrite), saisissent eux-mêmes leurs textes et ne les soumettent plus qu’à un secrétaire de rédaction qui ne vérifie plus qu’une chose : que la longueur du texte ne dépasse pas l’espace qui lui est pré-assigné, sans souci aucun ni du sujet, ni des informations recueillies, ni de qualité d’écriture.

Cela s’appelle le progrès. Mais cela signifie aussi que progrès ne rime pas toujours avec qualité. Surtout lorsque l’on sait que le journalisme peut rendre fou (d’orgueil en général) et que dans le journalisme, le genre «Chronique» peut rendre fou absolument…

Car toute cette introduction n’est là que pour expliquer ce qui va suivre :

l’histoire d’un chroniqueur. 

Dans une récente édition de son glorieux journal, le chroniqueur en question, qui n’en est plus à un avatar près, prend la défense de la députée de Lapinière, Mme Fatima Houda-Pépin, dans le différend qui l’oppose à son parti, le Parti Libéral du Québec.

Comme chacun le sait, Mme Houda-Pépin vient d’exprimer sa particularité (et une certaine différence) dans les débats entourant le projet de Charte (que par commodité on appellera «de la laïcité, même si le législateur a décidé de la baptiser autrement). Pour elle en effet, si nous avons bien compris sa pensée, les débats en cours (sur les signes religieux ostentatoires) sont dérisoires compte tenu du fait que c’est bien plus qu’aux foulards de ces dames, aux menaces d’extrémismes religieux que le Québec doit faire face, fussent-elles aussi hypothétiques qu’une burqua à L’Assemblée Nationale. Mais peu importe ce débat.

Ce qui nous intéresse c’est que notre chroniqueur étale toute sa science en décrétant que Mme Houda-Pépin a raison parce que «Elle a vécu les affres de l’intégrisme religieux dans son pays d’origine, le Maroc».

Si j’étais linotypiste et que nous vivions encore à la belle époque décrite précédemment, j’aurais émis deux remarques :

1-  Mme Houda-Pépin a beau être originaire du Maroc, elle est d’abord canadienne et québécoise; Elle a gagné dans son comté cinq mandats parlementaires  successifs, toujours avec des majorités confortables même lorsque le PLQ souffrait d’une baisse de popularité; Elle siège donc depuis près de 20 ans au parlement de la Province et est devenue ainsi une figure incontournable de l’Assemblée Nationale, de son parti et de la vie politique au Québec. Durant sa carrière, qui est loin de son apogée et encore moins de son terme, elle a affronté d’autres orages déjà et n’a jamais eu besoin que quiconque prenne sa défense.

Réduire tout cela à l’origine ethnique de Mme Houda-Pépin n’est en conséquence pas une défense, mais une insulte à la personne, au parti et à l’Institution parlementaire.

En fait d’orages, n’est-il pas au demeurant normal, que dans un parti politique quel qu’il soit, des contradictions puissent s’exprimer et qu’elles puissent être dépassées même au prix d’un débat musclé?

2-  Pour plus de précision, à l’époque où Mme Houda-Pépin, armée d’un diplôme universitaire en droit, a quitté le Maroc, le débat politique dans ce pays se déroulait exclusivement entre communistes – socialistes et libéraux – capitalistes; avec certes des répressions sévères, mais la religion n’y était pour absolument rien et encore moins des «affres islamistes». (aujourd’hui encore, même si c’est un parti à référent religieux qui mène la coalition majoritaire au gouvernement, la situation politique demeure dans une logique de presque «lutte des classe», puis que la ligne de séparation entre force politiques se situerait plutôt dans une opposition entre nantis-profiteurs et démunis exploités, même si cela est atténué par une recherche, revendiquée par tout le monde, d’équité sociale et économique.

Hélas!, le progrès fait que je ne suis pas linotypiste; Je ne pourrais donc pas annoter les copies de mon chroniqueur.

Il continuera donc de nous asséner  toute son ignorance suffisante à longueur de colonnes, sans personne pour lui signaler ses erreurs, ses approximations, ses préjugés à l’emporte-pièce.

Heureusement encore que le secrétaire de rédaction l’enferme dans une limite de deux colonnes. Cela limite au moins ses logorrhées scripturales à cinq mille signes et fait d’autant d’offenses à la déontologie et à l’intelligence du lectorat.

Abdelghani Dades (Edito Atlas.Mtl 218)

 

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