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Canada : Une société (et une identité) en reconstruction ?

Justin Trudeau a lancé le débat de la manière la plus tonitruante qui soit : mi-février, à Ottawa ce député libéral donc fédéraliste par essence, a exprimé sa préférence – face à un  État canadien qui vire à droite – pour un particularisme, l’identité québécoise. Que cette déclaration soit faite par le fils de l’un des fondateurs du fédéralisme canadien n’est cependant pas un reniement autant qu’un cri d’exaspération. Car ce que Justin rejetait ainsi, ce n’est pas le fédéralisme, mais bel et bien l’abandon au plus haut niveau de décision, de la générosité, de la solidarité, de la compassion qui doivent au regard de nombreux canadiens être l’apanage de tout gouvernement démocratique, en politique intérieure comme en politique internationale. Il le confirme d’ailleurs lorsque, au comble de sa colère, il ajoute «Je ne reconnais plus dans ce pays; des milliers de canadiens ne se reconnaissent plus dans ce pays».

Il est vrai, si l’on fait abstraction de l’outrance dans le propos, que tout n’est pas faux dans ces assertions. Le Canada vire en effet à droite et de manière assez brutale. Moins toutefois, mais sans doute pas plus, que de nombreux autres pays de la planète. Car la tendance au conservatisme nous semble bel et bien être universelle même si elle diverge dans ses formes selon les latitudes et les pays. Elle est aussi présente à travers ces événements que l’on a «ramassé» un peu abusivement sous l’emballage de «printemps arabe»; elle est derrière bien de changements intervenus dans l’ex-Europe de l’Est avec le cas spectaculaire de la Hongrie, elle est sur le Vieux Continent et en Amérique Latine, au Moyen Orient y compris dans ses composantes les plus démocratiques et en Asie également.

Mais ce retour des droites et des conservatismes n’est-elle le fait que de gouvernements?

Certes non. Car paradoxalement, dans bon nombre de pays, le retour du conservatisme a accompagné la démocratisation.

C’est par la voie des urnes qu’il est revenu, c’est par les voix du peuple qu’il s’est ouvert les voies du pouvoir et c’est dans les urnes qu’il a trouvé sa légitimité.

Certains sociologues l’avaient d’ailleurs vu venir. Il ya dix ans de cela, le sociologue marocain feu Mohamed Berdouzi, avait même commencé l’élaboration d’une théorie, la théorie du balancier (qu’il avait évoqué au cours d’une conférence donnée à Montréal en 2006). Ainsi disait-il, dans toute population, il y a une minorité de droite et une minorité de gauche et, surtout, une immense majorité qui oscille, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche et qui donne alternativement à l’une ou à l’autre des minorités le pouvoir de changer les sociétés dans lesquelles elles évoluent. Feu Berdouzi n’a pas eu le temps d’aller jusqu’au bout de la réflexion sur le sujet.

Il aurait sans doute pu nous expliquer pourquoi les mouvements du balancier pouvaient être concordant dans plusieurs pays, voir à l’échelle de la planète; il aurait sans doute pu aussi  mettre en perspectives les révoltes populaires qui accompagnent les plus récents mouvements du balancier social et peut-être également pu réfléchir à l’amplitude et à la durée des cycles du balancier…

Mais revenons au Canada.

Si le retour vers le conservatisme est un fait amené par les urnes, il est certain qu’il n’en partira que par les urnes.

Quand ? Peu importe !

En revanche, ce qui importe c’est que si, à l’inverse de ce qui se produit dans un certain nombre de pays, ici, le débat politique continue d’exister et de se fonder sur des choix idéologiques ne relevant pas du dogmatisme mais de la conscience sociale, proposant des choix de société, se déroulant sans violence. Sachant que  la société canadienne – qui doit encore réussir à digérer tous les apports migratoires qui l’enrichissent et toutes les mutations que lui a fait subir le progrès des cinquante dernières années – est en reconstruction, même si une petite outrance verbale peut venir parfois remuer le landerneau politique, la situation reste donc saine et par là-même porteuse d’espoir. Acceptons-en l’augure…

Abdelghani Dades (Edito Atlas.Mtl numéro 175 du 1 au 14 mars  2012)

 

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