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Réfugiés: Un statut de plus en plus incertain…Les restrictions et contraintes apportées par le projet de loi C 31

Armé de sa majorité, le gouvernement de Stephen Harper a décidé de n’en faire qu’à sa tête en immigration et déposé hier un projet de loi visant à défaire les compromis jadis cédés à l’opposition quant au sort du système d’accueil de réfugiés. Et les conservateurs en rajoutent: au menu, pouvoirs discrétionnaires pour le ministre, de même qu’empreintes digitales et photographies désormais exigées pour des demandeurs de visas.

Le ministre de l’Immigration a présenté le 16 février écoulé un projet de loi omnibus défaisant la première réforme de la Loi sur les réfugiés de 2010. Il y a 18 mois, Jason Kenney avait félicité ses collègues de l’opposition, avec lesquels il avait convenu d’amendements qui rendaient «le système de réfugiés plus rapide et plus équitable». «C’était une amélioration du statu quo, mais ce n’était pas suffisant pour être efficace par rapport au défi», a-t-il cependant plaidé hier en point de presse, tandis que le néo démocrate Don Davies a dénoncé ce «virage à 180 degrés» jugé injustifié.

Les « demandes illégitimes» qui engorgent le système…

Le problème, selon M. Kenney, ce sont les demandes illégitimes qui engorgent le système d’immigration. Sa solution, c’est de restreindre le nombre de demandeurs. Si l’an dernier le ministre avait été forcé de céder, alors en contexte minoritaire, désormais il peut passer les lois qu’il lui plaît.

Plus question donc de laisser un comité d’experts dresser à sa place la liste de «pays sûrs», desquels le fédéral estime qu’il ne ressort pas habituellement de réfugiés. C’est le ministre qui décidera et aura le dernier mot, après consultations avec des fonctionnaires. Terminée aussi la possibilité pour les ressortissants de ces pays d’origine désignés de porter la décision en appel si leur demande est rejetée. Cette demande aura d’ailleurs dû être préparée plus rapidement. Et enfin, les demandeurs refusés devront attendre un an avant de faire une nouvelle demande pour motifs humanitaires, période au cours de laquelle ils pourraient être renvoyés dans leur pays. Le projet de loi C-31 retire tous les compromis de la mouture de 2010.

«C’est un système fondamentalement injuste, c’est un système à deux vitesses», a déploré Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). Les nouveaux délais imposés aux demandeurs d’asile pour présenter leur cause (30 à 45 jours pour ceux provenant des «pays sûrs») sont irréalistes, selon lui.

Des «pouvoirs discrétionnaires» contestés

Le C-31 n’a pas été mieux accueilli du côté des experts en droit des réfugiés. Il s’agit d’une proposition digne d’un État «totalitaire», qui «va dans la mauvaise direction et qui vise à fermer les portes aux réfugiés», selon Peter Showler de l’Université d’Ottawa. Une liste de «pays sûrs» peut être dangereuse selon lui, particulièrement lorsqu’elle n’est pas balisée par un système de freins et contrepoids, comme une possibilité d’appel par exemple. Surtout que dans tout pays, il existe des sous-groupes qui ne sont pas à l’abri de tout danger, souligne-t-il.

Partis d’opposition et experts ont par ailleurs dénoncé le pouvoir discrétionnaire du ministre, chargé de déterminer les «pays sûrs». Car il y a un risque que la liste d’États soit utilisée à des fins politiques, a noté Catherine Dauvergne, professeure de droit de l’immigration à l’Université de la Colombie-Britannique. Mais M. Kenney assure qu’il consultera ses fonctionnaires.

En 2010, le Canada a reçu environ 25 000 demandes de statut de réfugié, selon M. Reichhold. «Personne ne comprend pourquoi le Canada s’énerve comme ça, parce que ce n’est vraiment pas une grosse menace.»

«Des changements ont été apportés dans le dernier Parlement qui ont aidé, mais visiblement, ils n’étaient pas suffisants pour gérer cet enjeu, et le gouvernement est prêt à s’assurer qu’il respecte la volonté des Canadiens», a à son tour argué le premier ministre Stephen Harper aux Communes.

Or, l’opposition se demande pourquoi les conservateurs n’ont pas laissé la version édulcorée de la réforme entrer en vigueur pour en étudier la portée avant de la reléguer aux oubliettes. Afin d’éviter que cela se produise, les conservateurs vont plutôt catapulter C-31 afin qu’il soit adopté d’ici la fin juin — date d’entrée en vigueur prévue de la réforme de 2010.

«Le gouvernement pousse trop loin son mandat», a scandé le libéral Ralph Goodale, en rappelant que la majorité conservatrice reposait sur 40 % du vote aux dernières élections et n’accordait pas tous les droits aux troupes de M. Harper.

Le problème Roms

Le gouvernement veut freiner l’arrivée de demandeurs du statut de réfugiés illégitimes et vise surtout les demandes provenant de l’Union européenne (UE). Selon Immigration Canada, 23 % des demandes d’asile seraient venues de l’UE l’an dernier — une hausse de 14 % par rapport à 2009 — et plus de 95 % de ces demandes ont été abandonnées ou retirées. Parmi les 5800 demandes européennes, près de 5000 provenaient de Hongrie. Et c’est justement aux Roms de ce pays qu’Ottawa tente de serrer la vis, même s’il refuse de les cibler.

Le ministre Kenney n’a néanmoins pas été tendre à leur égard, arguant qu’ils voulaient simplement profiter des avantages sociaux offerts au Canada. Et s’ils couraient un réel danger et devaient absolument fuir leur pays, ils pourraient aller, plus facilement, vers l’un des 27 pays de l’UE, a-t-il martelé. Leur sort n’est toutefois souvent pas plus rose ailleurs en Europe, car entre pays de l’UE, aucun ne veut accuser son voisin de ne pas savoir protéger les Roms. Résultat: pas de statut de réfugié et ils sont expulsés, comme l’a fait la France l’an dernier. Les Roms subissent en outre de mauvais traitements. Le directeur du Centre européen pour les droits des Roms, Robert Kushen, affirmant à Libération en août 2010 que ces peuples subissent des discriminations dans l’accès au logement, à la santé, à l’éducation et à l’emploi. Dans certains pays «des cas de stérilisation forcée ont été rapportés en 2008», notait-il.

Empreintes et photos

En vertu de C-31, le gouvernement s’octroie en outre le droit d’exiger des données biométriques de demandeurs de visas de visite, d’études ou de travail. Le projet de loi ne précise toutefois pas les pays visés, ni de quelle façon on aurait recours à cette autorisation légale. L’an dernier, le Canada a accueilli environ 400 000 étudiants et travailleurs temporaires, selon Mme Dauvergne, qui a souligné que le gouvernement aurait en sa possession une quantité innombrable d’informations personnelles.

Le C-31 reprend par ailleurs sous son aile un autre projet de loi d’envergure, visant à serrer la vis aux passeurs de migrants clandestins. Déposé à nouveau en juin dernier, le projet C-4 visait à mettre fin aux arrivées massives de réfugiés par des voies qui seraient désignées comme irrégulières par le ministre de la Sécurité publique, comme des bateaux. La proposition avait été décriée par les groupes de défense des réfugiés et les experts, qui y voyaient une violation des droits des ressortissants et un pouvoir excessif du ministre. Un seul changement a été apporté: les arrivants de moins de 16 ans ne seront plus obligatoirement mis en détention à leur arrivée, seulement leurs aînés.

Source : Presse canadienne

Rubriques : Actualités, Immigration Mots-clés : , ,
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