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Canada: L’autre drame des «sans papiers» Des enfants privés d’école

Canada: L’autre drame des «sans papiers» Des enfants privés d’écoleL’an dernier, Une citoyenne, Mme Abir Haouam a commencé à s’inquiéter lorsque le mois d’août est arrivé. Les deux petites portugaises, âgées de 5 et 8 ans, qu’elle croisait de temps en temps au parc ne se préparaient pas à la rentrée scolaire. Loin de là. Les deux fillettes n’étaient pas même inscrites à l’école. « C’était un vrai gâchis. Surtout pour la plus vieille, qui avait besoin d’être stimulée et d’apprendre le français. Elle avait beaucoup de potentiel », raconte cette enseignante d’anglais langue seconde.

De fil en aiguille, Mme Haouam a fini par comprendre que la famille, en sérieuses difficultés financières, était arrivée à Montréal pendant l’été avec un visa de touriste, dans l’espoir d’une vie meilleure. N’ayant pas de statut migratoire reconnu, les parents ne pouvaient pas travailler légalement, avoir des assurances, et encore moins envoyer leurs fillettes à l’école.

6000$ pour un enfant sans papiers

« Au début, le papa disait qu’il ne voulait pas les inscrire par peur d’être poursuivi ou d’être renvoyé. Il disait qu’il n’avait pas l’argent pour payer (jusqu’à 6000 $ pour certains immigrants sans-papiers). Et quand on lui a dit que la commission scolaire pourrait accepter de scolariser ses filles gratuitement, il ne voulait pas, par crainte qu’elles se blessent dans la cour d’école et que ça lui occasionne des problèmes », raconte l’enseignante, qui les a finalement prises sous son aile pour leur donner des cours de français à la maison.

Le cas de cette famille portugaise est loin d’être isolé. Le Québec, comme d’autres provinces canadiennes, est une terre d’accueil très prisée où nombre de familles vulnérables, parfois sans-papiers, viennent s’installer. Le cas classique : la famille qui entre au pays avec un visa de touriste et qui reste une fois que celui-ci est échu. Elle devient une famille « fantôme ». « Ce sont souvent des visiteurs restés trop longtemps ou des demandeurs d’asile déboutés qui ont décidé de rester », explique Zina Laadj, intervenante sociale à La Maisonnée, un service d’aide aux immigrants dans Rosemont–La Petite-Patrie.

«Familles fantômes»

Ils viennent du Mexique, d’Haïti et du Maghreb, surtout. Et ces dernières années, du Portugal et de l’Espagne, en raison de la crise économique. « Il y a énormément de jeunes qui viennent comme touristes et qui restent ici, au-delà du six mois permis », explique Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). « Certains ne renouvellent pas leurs documents tout simplement par méconnaissance. »

Viennent ensuite les soucis : ne sachant pas comment régulariser leur statut, et par crainte de représailles ou que leurs démarches échouent, ces familles préfèrent demeurer dans l’ombre, sans pouvoir travailler (autrement qu’au noir), sans assurances et sans inscrire leurs enfants à l’école.

De nouvelles directives

Ces dernières années, des pressions, notamment faites par le Collectif éducation sans frontières, ont forcé le ministère de l’Éducation (MELS) à agir pour que ces enfants ne soient pas laissés à leur sort. Le problème ? D’une part, pour inscrire leur enfant et lui donner un code permanent (qui le fait « exister » dans le système), les parents doivent fournir plusieurs documents et informations qu’ils n’ont pas toujours ou sont réticents à donner, comme, par exemple, son adresse, une carte de résident permanent ou un document d’immigration non périmé.

D’autre part, même si l’enfant est inscrit, il n’obtient pas automatiquement la gratuité, ce que permet la Loi sur l’instruction publique pour tout « résident du Québec », et doit parfois payer des frais allant jusqu’à 6000 $. De quoi rebuter ces familles en situation précaire. « Ils ne peuvent évidemment pas payer ça », dit M. Reichhold.

Enfin, le problème de la confidentialité demeure. Même si les commissions scolaires sont appelées à user de discrétion, rien n’empêche qu’on puisse exiger d’elles qu’elles fournissent des informations aux autorités migratoires, contrairement à l’Ontario, qui applique la politique « don’t ask, don’t tell ». Pire, les familles qui se risquent à inscrire leur enfant à la commission scolaire de Montréal (CSDM) doivent signer une fiche d’inscription indiquant qu’elles autorisent les deux ministères de l’Immigration, fédéral et provincial, à fournir des informations les concernant au ministère de l’Éducation et à la commission scolaire, et à ce que celles-ci puissent se les échanger entre elles. « Ce n’est pas assurer la confidentialité aux familles, ça », constate Linda Guerry, postdocrante à l’Institut national de recherche scientifique et membre du Collectif.

En juin 2013, Marie Malavoy, alors ministre de l’Éducation, a publié une série de nouvelles directives adressées aux commissions scolaires pour faciliter l’inscription et donner accès à la gratuité à certains élèves sans-papiers. Par exemple, il est désormais possible de demander un code permanent pour des élèves dont les parents détiennent un permis de travail ou d’études, et ce, même s’il n’est plus valide. Ces élèves peuvent aussi être exemptés des droits de scolarité, tout comme le peuvent désormais les enfants des demandeurs d’asile, ceux dont la demande est refusée, mais à qui on permet de demeurer sur le territoire, et ceux des réfugiés reconnus qui possèdent un Certificat de sélection du Québec.

Tout n’est pas réglé

Mais pour les élèves dont les familles vivent dans la clandestinité… le problème reste entier. Certaines d’entre elles, à qui on avait permis d’inscrire leurs enfants gratuitement, ont reçu une facture. La CSDM, où nombre de ces enfants échouent, ne s’en cache pas. « Oui, une facture est envoyée par la poste », confirme son porte-parole, Alain Perron. « On ne peut pas s’inscrire en faux contre la Loi sur l’instruction publique. » Il refuse de donner davantage d’information sur la prise en charge de ces familles, affirmant que sa commission scolaire suit les directives du MELS. Selon lui, le problème est marginal — deux ou trois cas d’enfants tout au plus.

Pour Stephan Reichhold, le principal problème est « l’opacité et l’arbitraire des procédures parfois à l’avantage, parfois au désavantage des familles ». « Je pense qu’un certain nombre de parents sans statut n’osent pas prendre le risque de se pointer à la commission scolaire tout seuls, car ils ne connaissent pas leurs droits et les procédures », a-t-il dit. Il joint sa voix à celle du Collectif pour réclamer que la Loi sur l’instruction publique soit modifiée.

Ce à quoi le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, ne ferme pas la porte. « Une modification à la loi est une possibilité envisageable. Ça fait partie des éventuelles solutions sur la table et la porte n’est pas fermée à ça », a déclaré à notre confrère Le Devoir Yasmine Abdelfadel, attachée de presse de M. Bolduc. Du reste, le ministre n’ira pas plus loin dans les directives données aux commissions scolaires et se contente de leur demander de les appliquer pour l’année en cours.

En attendant, le Collectif s’apprête à demander un avis consultatif à la Commission des droits de la personne pour savoir si la loi est discriminatoire ou pas.

Abir Haouam évite de se prononcer sur la question, mais dans son esprit, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Car au final, la famille portugaise a fini par plier bagage et est retournée dans son pays d’origine après six mois, sans jamais avoir envoyé les deux fillettes sur les bancs d’école. « C’est comme si le système n’avait pas été capable d’absorber. Il n’a pas réussi à les intégrer. C’est très dommage », a-t-elle conclu.

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