La répartition des nouveaux médecins de famille creusera encore davantage les inégalités d’accès pour les patients entre les régions, dénonce un médecin montréalais. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) avertit carrément qu’une pénurie guette tout le Québec, et que l’atteinte de la cible d’inscrire 85 % des Québécois auprès d’un médecin d’ici à la fin de l’année devient difficilement atteignable.
Après avoir analysé la répartition des postes affichés cet automne pour les omnipraticiens qui seront diplômés en 2019, décidée par Québec, le Dr Mark Roper conclut que « c’est un désastre pour Montréal ». L’île, c’est plus de 300 000 personnes à inscrire pour atteindre la cible de 85 %. En 2019, bien que 100 jeunes médecins soient autorisés à s’installer dans la métropole, le Dr Roper calcule qu’une cinquantaine de retraites surviendront. Trop peu de bras supplémentaires en comparaison de l’ampleur des besoins : « La situation va se dégrader », prédit-il.
Médecins : Plus de départs que de recrutement…
À une échelle plus fine, il dénonce des situations aberrantes, comme pour le réseau local de service (RLS) de Côte-des-Neiges–Métro–Parc-Extension. Ce territoire englobe sa clinique, le GMF Queen Elizabeth. Ce RLS, qui compte d’autres cliniques, peut recruter six jeunes médecins, mais on peut raisonnablement s’attendre à neuf retraites, dit le Dr Roper. Un bilan négatif avec plus de 47 000 patients à inscrire, le plus grand nombre parmi tous les RLS du Québec. Cinq médecins déjà établis, originaires d’autres régions, sont aussi autorisés à s’installer.
Le Dr Roper craint aussi pour la Montérégie, les Laurentides, Lanaudière ou la Capitale-Nationale, par exemple, où les ajouts nets de nouveaux médecins, une fois les retraites prises en compte, seront faibles, voire négatifs. « Douze médecins en moins dans la région de Québec, ça veut dire 12 000 patients orphelins de plus ! », s’exclame-t-il.
Le Dr Simon-Pierre Landry, porte-parole du Regroupement des médecins omnipraticiens pour une médecine engagée (ROME), chef de l’urgence de l’hôpital de Sainte-Agathe et administrateur d’une clinique, réclame carrément l’abolition du système centralisé de répartition des postes. « Comme en Ontario et en Colombie-Britannique, les hôpitaux et les cliniques devraient pouvoir afficher les postes sur un site Web. Le gouvernement peut quand même contrôler l’offre », explique-t-il. « Le système actuel a toujours sous-estimé la croissance démographique de Montréal, des Laurentides et de la Montérégie, où il y a un déficit énorme, qui va s’accélérer. »
Le taux d’inscription à un médecin de famille n’est pas le seul critère qui doit être considéré dans l’attribution des postes, répond le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), citant les hospitalisations, les urgences, les CHSLD, le soutien à domicile, l’enseignement.
« On doit aussi considérer des facteurs tels que la croissance démographique, le remplacement des médecins qui prennent leur retraite, etc. La méthodologie du MSSS vise une répartition équitable des nouveaux facturants », précise la responsable des communications Noémie Vanheuverzwijn.
Régions : des patients orphelins par milliers
Le président de la FMOQ, le Dr Louis Godin, craint carrément une « pénurie d’effectifs, qui est en train de s’accentuer ». Ayant prévu des ajouts nets de 225 ou 250 médecins par an, la FMOQ doit jongler avec bien moins. L’apport net ne sera peut-être que de 100 omnipraticiens cette année. Moins de jeunes embrassent la profession. « Environ 50-60 médecins en moins s’expliquent par des médecins qui ont pris leur retraite, accepté des mandats administratifs ou quitté le régime public de plus par rapport à ce à quoi on s’attendait », dit aussi le Dr Godin.
Plus de 200 postes de résidents en médecine familiale sont restés vacants dans les trois dernières années. En septembre, 305 omnipraticiens étaient « désengagés » de la RAMQ, c’est-à-dire qu’ils pratiquent au privé. Ils étaient 199 en 2014.
Dans les circonstances, l’atteinte de la cible de 85 % pour la fin de l’année 2018 devient « de plus en plus difficile, même si on ne jette pas l’éponge », ajoute le Dr Godin. Actuellement, 80 % des Québécois sont inscrits, une évolution de moins de 1 % depuis décembre dernier.
« On nous avait promis plus de soutien dans nos bureaux, les spécialistes devaient aussi nous soulager des tâches hospitalières. On est bien loin de ce qui avait été promis », dénonce le Dr Godin.
En ce qui concerne la répartition des postes entre les régions du Québec, il compare la situation à un morceau de pain insuffisant pour une grande famille : tout le monde reste sur sa faim.
Même dans les régions où la cible de 85 % est atteinte, comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, les besoins sont grands. « Il y a des besoins hospitaliers et on manque de médecins », explique le Dr Godin. « On revient toujours à la case départ. Si j’en ajoute à un endroit, j’en enlève à un autre ! »
Il comprend la frustration de ses confrères. « C’est une situation qui n’est pas facile », reconnaît-il.
« Sans le regard macroscopique, on peut avoir l’impression que Montréal ne reçoit pas les effectifs qu’il devrait, mais les gens sont de bonne foi » lorsque les décisions sont prises en fonction des diverses variables, ajoute le Dr François Loubert, le chef du Département régional de médecine générale pour la métropole.