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Media et religions. Neutralité, objectivité, honnêteté

meurtre-usaTrois morts de plus; trois jeunes étudiants, dont deux femmes, froidement abattus par un homme qui se réclame de l’athéisme et de l’hostilité à toute religion, mais qui très certainement éprouve une répulsion particulière pour une confession en particulier. Et face à cela, une indifférence troublante, celle des médias,  notamment ceux des médias qui se mobilisent toutes affaires cessantes, dans d’autres drames de même inspiration. Quelques lignes dans la presse écrite, quelques secondes dans un journal télévisé, quelques signes typographiques dans les bandes défilantes au bas de l’écran TV; et on passe à autre chose…

C’était le cas aussi pour un incident, heureusement sans victimes, survenu quelques heures plus tôt à Montréal : des coups de feu visant une école, c’est-à-dire des enfants,

Et c’est pareil tous les jours, avec des agressions, délictuelles comme des paroles blessantes, ou criminelles comme un crachat à la face d’une femme parce qu’elle a décidé de se voiler la tête.

Le poids des mots 

L’indifférence ne se manifeste cependant pas seulement dans la place faite à l’information lorsqu’elle met en scène la diversité religieuse. Elle est également ailleurs : dans le traitement de cette information. Nous avons tous été choqué par le sort abject réservé à Moad Kassasbeh, pilote jordanien, par l’organisation terroriste EI. Le choc s’est prolongé dans la lecture  des journaux et  l’audition des téléjournaux : presque jamais les mots «meurtre» ou «exécution» n’ont été utilisés; on a en revanche eu droit, jusqu’à la nausée, à «la mort d’un pilote jordanien». Quand à la réaction de la Jordanie, le renforcement de ses opérations militaires en Syrie, il ne s’est jamais agi d’une intensification de ses efforts de lutte au terrorisme, mais toujours d’une «vengeance», fondée sur «la loi du talion», pratique tribale arriérée et usage barbare, présentée ainsi, implicitement, comme l’expression d’une culture (ou d’une religion) exotique, étrange et étrangère, dangereuse et dont, en conséquence, il faut à tout le moins se méfier, mais qu’il faut surtout combattre.

Et c’est bien de cette manière, qu’au vu de la tendance qui semble se développer, ailleurs mais également pour ce qui nous intéresse, au Canada et au Québec et tout particulièrement dans un certain groupe de presse, que le segment musulman de la population perçoit cette situation. Les messages hostiles se multiplient; ils ne vont pas jusqu’à prôner la haine, mais par le biais de certains «chroniqueurs» (c’est-à-dire des journalistes qui ont la particularité de ne pas engager la responsabilité légale du medium qui recours à leurs services), s’évertuent depuis plusieurs années et avec beaucoup plus d’acharnement depuis quelques semaines, à forger tout un vocabulaire, tout un discours, qui a les apparences du raisonnable et qui passe d’autant plus facilement qu’il se fait sous le couvert générique de «la préservation des valeurs et la protection de l’identité». Simple et donc redoutablement efficace, ce message n’hésite pas à utiliser des amalgames douteux. Il  peut cependant de ce fait produire des conséquences pernicieuses sur la population, dans la mesure ou, d’une part, il peut amener ne serait qu’une personne – le tueur de Chapel Hill en Caroline du Nord ou le tireur de Montréal, à passer à l’action – ou, sous la pression du ressenti public, à amener la classe politiques à réclamer «des mesures» le législateur, dans une urgence forcément mauvaise conseillère, à prendre des mesures ou adopter des lois qui peuvent produire des effets pervers.

Raison garder…

On en a un parfait exemple dans l’actualité québécoise avec la remise sur rails du projet de charte de la laïcité, cheval de bataille du PQ, auquel la CAQ vient de se rallier à sa manière et par souci de realpolitik. Et avec la pression exercée sur le gouvernement pour qu’il s’engage au plus vite sur la question de la neutralité religieuse de l’État.

La bonne c’est que le gouvernement ne veut tomber dans le piège de la précipitation. Il estime, avec raison, que ce type d’action doit respecter deux conditions : être exempt de tout amalgame, par exemple ne pas mêler sécurité et neutralité religieuse, problèmes de sécurité et prévention – lutte au terrorisme; se dérouler dans le calme, sinon la sérénité, ce qui, avec les dramatiques événements parisiens du mois de janvier 2015, est loin d’être le cas.

Il fallait s’y attendre : ce sain souci du Premier ministre et de son gouvernement ne pouvait pas ne pas provoquer une réaction. Et ce fut le cas lors M. Couillard à été «accusé» d’avoir développé une «certaine sensibilité» aux thèses islamistes lors de son séjour en Arabie Saoudite. Cette question est peut-être risible, mais ne rions pas trop : depuis, un certain nombre de nos confrères, parmi les plus sérieux, enquêtent sur la possibilité d’existence à Québec, de «ministres sous influence» (entendez religieuse). Et quand Kathleen Weil déclare qu’elle serait disposée à travailler avec un intégriste en autant que cette collaboration ne soit entachée d’aucune menace pour la sécurité du public, gageons que cela, même si le propos est empreint d’élémentaire sagesse,  ne manquera pas de provoquer quelques nouveaux grincements de dents…

Après les mots, les actes…

En menant un tel raisonnement, nous savons ce qui va suivre : «voilà encore un exemple de ce délire qu’est la théorie du complot». Sauf qu’en l’occurrence, il n’y a pas que des mots. Il y a aussi des actes.

Personne n’en a fait état à date. Mais quelques semaines après la diffusion, le 27 novembre 2014, par Radio Canada du reportage de son service Enquêtes, «Montée de l’intégrisme: lever le voile» dans lequel Johanne Faucher et Nadia Zouaoui tentaient de répondre à la question «Sommes-nous réellement menacés par l’intégrisme religieux», une plainte a été déposée auprès de l’ombudsman de la chaine par une poignée de confrère d’un certain autre groupe media – ceux-là mêmes que nous citons plus haut – au prétexte que, parce qu’elles avaient remis les choses dans leur juste perspective, elles «diffusaient de fausses informations» et induisaient le public en erreur».

Dès lors que les «plaignants» ont été déboutés, on a assisté à une floraison d’articles et de reportages, dont celui du Journal de Montréal, pour raviver les craintes vis-à- non seulement de l’islamisme, mais de toute une communauté adepte de l’Islam.

«Théorie du complot» ?, islamophobie ?, manœuvre politique ?, à vous de juger…

Liberté de la presse

Tour cela évidemment se passe sous le couvert de la liberté d’opinion, de la liberté d’expression et de la liberté de la presse; autant de valeurs que nous défendrons toujours becs et ongles. Mais la liberté de la presse ne se défend pas en brimant – ou en tentant de brimer – les droits d’une consœur ou d’un confrère d’une part; elle ne se défend pas, d’autre part, en donnant primauté aux convictions personnelles sur la déontologie et dans la négation d’une des missions du journaliste : informer sans réserve, mais avec honnêteté sinon objectivité et ne jamais perdre de vue le souci de contribuer à l’édification du lecteur, du développement de son sens critique, sur des phénomènes toujours complexes.

Était-il nécessaire de rappeler ces faits? Oui, sans aucun doute; car en juin prochain s’ouvrira le feuilleton de la neutralité de l’État. Et si d’ici là, nous ne sommes pas tous revenus à une saine mesure, ce que nous risquons tous, québécois également préoccupés de cohésion sociale, c’est de rater une nouvelle occasion de mener à bien un débat nécessaire et utile et de gâcher une nouvelle fois une chance d’avancer vers la construction d’une modèle de coexistence citoyenne exemplaire, digne du Québec de nos vœux et de espoirs.

Et cela, ce n’est pas seulement l’affaire des journalistes et des chroniqueurs…

Abdelghani Dades (Édito: Atlas.Mtl 247)

 

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