À ses débuts dans Skibec alpin, le club de compétition de la région de Québec, le skieur Adam Lamhamedi a écrit dans sa note biographique qu’il rêvait de représenter le Maroc, le pays d’origine de son père, aux Jeux olympiques. Une tante au Maroc est tombée là-dessus en tapant le nom de son neveu dans un moteur de recherche. Touchée, elle a demandé la permission à la famille d’entreprendre des démarches auprès de la Fédération royale marocaine de ski et montagne.
En juin, après quelques mois de démarches, deux visites de délégués de la fédération royale au Québec et une de la famille Lamhamedi à Rabat, Adam, qui détient la double citoyenneté depuis sa naissance, a officiellement obtenu une licence marocaine de la Fédération internationale de ski (FIS).
Aux premiers Jeux olympiques d’hiver de la jeunesse, qui se sont conclus le 22 janvier à Innsbruck, Adam Lahmamedi, qui a appris à skier sur les pentes de Stoneham, était l’unique représentant marocain parmi les quelque 1100 athlètes provenant de 70 pays.
Au lendemain de la cérémonie d’ouverture, le 14 janvier, le jeune homme de 16 ans a causé une petite commotion sur la pente Olympia de la station Patscherkofel en remportant le super-G sous les couleurs du Maroc grâce à la «course de (sa) vie». Il s’agissait d’un premier podium pour un pays africain à des Jeux d’hiver.
Malgré sa combinaison jaune et rouge du Canada, la plus performante qu’il avait sous la main, Lamhamedi a bel et bien brandi le drapeau rouge frappé d’une étoile verte dans l’aire d’arrivée après la confirmation de sa victoire.
«Ce n’est pas comme si je n’avais aucune chance, mais c’est sûr que je n’allais pas là pour gagner», a souligné Lamhamedi, en entrevue téléphonique la semaine dernière, quelques jours après son retour d’Autriche. «J’avais juste en tête de bien skier et de me faire plaisir. Je ne m’y attendais pas vraiment. Quand j’ai vu que mon nom est resté premier après que les 60 coureurs eurent descendu, je capotais un peu, c’est sûr…»
Cette médaille d’or était surprenante sans être complètement inattendue. Lamhamedi n’avait jamais gagné une course sanctionnée par la FIS, mais les occasions de se mesurer aux meilleurs skieurs de 15 et 16 ans de la planète, la catégorie d’âge des épreuves alpines aux Jeux de la jeunesse, sont plutôt rares.
»Très compétitif»
Choisi athlète masculin de Skibec l’hiver dernier, Lamhamedi n’a cependant pas obtenu sa place aux Jeux olympiques de la jeunesse au rabais. L’hiver dernier, il était le coureur canadien de sa catégorie le mieux classé par la FIS. Cela lui aurait normalement permis de représenter son pays à Innsbruck. Mais il avait déjà pris sa décision: il porterait dorénavant les couleurs du Maroc, dont il détient la citoyenneté par son père Mohammed, chercheur et professeur associé de foresterie à l’Université Laval, qui a immigré au Canada plusieurs années avant la naissance de son fils.
M. Lamhamedi possède toujours une maison dans son pays d’origine, qu’Adam a visité à plusieurs reprises. Sa victoire à Innsbruck lui a valu une autre invitation au Maroc. Le champion a dû refuser puisqu’il devait poursuivre ses cours de cinquième secondaire à l’école Cardinal-Roy, où il est inscrit à un programme sport-études.
Martin Côté, son entraîneur à Skibec qui l’accompagnait en Autriche, décrit Lamhamedi comme «un jeune brillant, très compétitif et fondamentalement passionné par son sport». «Il va travailler encore plus fort après un événement comme ça», a jugé l’entraîneur.
Après sa victoire, Lamhamedi a eu l’honneur de rencontrer Hicham el-Guerrouj, le plus grand héros sportif marocain. L’ex-coureur était de passage aux Jeux de la jeunesse pour animer un atelier de travail destiné aux jeunes athlètes. Seul Lamhamedi s’est présenté, informé de la présence d’El-Guerrouj par un bénévole. Le quotidien L’Équipe a rapporté cette rencontre inusitée dans un article intitulé «Le El-Guerrouj des neiges».
Une perte pour le Canada?
Même si elle perdait un jeune coureur talentueux, la fédération canadienne ne s’est jamais opposée au changement de licence d’Adam, offrant plutôt une collaboration exemplaire, tient à souligner M. Lamhamedi, qui s’est chargé des démarches administratives.
«On respecte sa décision à 100% «, a expliqué Jean-François Rapatel, directeur athlétique national à Canada Alpin, ajoutant que les changements d’affiliation ne sont pas si rares. «Il y a peut-être deux ou trois cas par année et on ne s’y oppose jamais.»
La présence de Martin Côté à Innsbruck représentait même un avantage pour l’équipe canadienne, limitée à deux entraîneurs, a indiqué Rapatel. La collaboration entre les deux équipes a permis l’organisation de séances d’entraînement plus efficaces. «De ce point de vue, la médaille est aussi marocaine que canadienne», a mentionné Adam.
La suite est plus nébuleuse. Lamhamedi n’est plus admissible aux programmes de Ski Québec Alpin, qui représentaient la suite logique de son cheminement. Daniel Lavallée, directeur général de la fédération québécoise, ne cache pas sa déception de perdre ce skieur «avec beaucoup de potentiel, parmi beaucoup d’autres au Québec».
«Il s’est développé dans le programme québécois de A à Z et à minuit moins une, il change de nationalité», a dit le directeur général, qui aurait bien aimé inscrire cette médaille d’or dans les dossiers qu’il soumet au Ministère. «On lui souhaite la meilleure chance dans l’avenir, mais malheureusement, on ne pourra plus l’encadrer.»
Mohammed Lamhamedi rappelle que ce sont les parents qui assument la presque totalité des dépenses associées à l’entraînement d’un athlète de cet âge, en plus de l’aide des entraîneurs et des bénévoles. Il souhaite qu’on évite le «débat stérile Maroc-Canada» et insiste pour dire que la décision de son fils lui appartient. «Il y a eu une certaine confusion là-dessus. Ce n’est pas moi qui l’ai obligé», a-t-il affirmé alors que son fils était aussi au bout de la ligne. C’est l’école canadienne et québécoise qui a gagné, c’est ce qu’il faut retenir.»
Adam, lui, ne s’inquiète pas pour son développement à long terme en dépit de l’absence manifeste de structures de pointe au Maroc. Aux derniers Jeux olympiques de Vancouver, le pays africain n’était représenté que par un seul athlète, le skieur Samir Azzimani, originaire de la région de Paris.
«Je serai aussi bien organisé que l’équipe du Québec, ça, j’en suis sûr, a prédit Lamhamedi. Parce que les ressources vont être là et que le Maroc va me soutenir. Pas besoin d’être 20 dans une équipe pour performer. On a juste besoin de s’associer à une équipe de haut niveau.»
Chose certaine, Adam Lamhamedi peut déjà penser à sa participation aux Jeux olympiques de Sotchi, dans deux ans, ce qu’il n’aurait jamais pu atteindre sous les couleurs canadiennes. «Dans le fond, je fais déjà les quotas, je suis déjà qualifié.» Cette fois, ce sera pour participer.
Simon Drouin
La Presse