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Lettre ouverte à Djamila Benhabib

Kamal Benkirane

«Madame Benhabib

L’extrémisme religieux a toujours été une épine dorsale destiné à contrer l’émergence des peuples qui aspirent à la paix. De là où notre monde est rendu, il est tout à fait légitime de dénoncer l’extrémisme sous toutes ses formes pour la survie de nos valeurs humaines communes.

Votre dernier livre (Soldats d’Allah à l’assaut de l’occident) confirme, dans un autre ton, votre croisière rampante et haineuse envers l’extrémisme islamiste. Vous brossez un historique de toutes ces mouvances en incriminant par intervalle les USA de leur complicité dans la création de ces mouvements. Somme toute, vous vous évertuez à dénoncer les radicaux de la Charia en occident, ce qui est légitime.

Cependant, vous semblez ne pas vraiment faire un cas de ces gourous du multiculturalisme, convertis pour la plus part aux tendances de la Droite Évangéliste extrémiste. Bien qu’il est édifiant de voir que vous faites de ce combat votre cheval de Troie, le gout de l’inachevé demeure présent à la lecture de vos livres, il est présent aussi dans l’imminence des grands amalgames dont vous tracez les limites, sans en faire potentiellement un cas social majeur.

Vous êtes vous demandé pourquoi la Droite Évangéliste extrémiste n’est pas aussi médiatisée en occident que l’extrémisme islamiste? Oui, cette mouvance qui a octroyé à un certain GW Bush le droit divin de disposer de la loi de guerre contre les « forces du mal », cette mouvance minée par le révisionnisme des grandeurs et qui tente par tout les moyens, de noyer les pays musulmans dans des conflits d’intérêt. Sachez tout simplement que les exactions commises par ce mouvement sont telles qu’on ne préfère concentrer l’attention que sur ce qui est vendeur.

L’heure n’est-elle pas à la victimisation et aux intérêts mercantiles de la vente de l’information teintée de propagandes défaitistes ?

Tout au long de vos interventions et écrits, vous avez scandé avec l’âme d’une féministe chevronnée que « on meurt d’être Femme lorsqu’on nait femme musulmane ». En bon musulman, je me permets de vous affirmer qu’une telle catégorisation ne puise son essence que dans vos propres perceptions et vos propres expériences, encore que vous faites une certaine abstraction du contexte socio géographique. Plus loin, vous affirmez dans vos textes : « j’ai vieilli prématurément en devenant schizophrène à temps partiel » comment ne pas voir là une souffrance aliénante qui se développe tout au long de vos réflexions? Vous établissez ainsi la médiane de vos dérives avec hargne, cette hargne que vous accolez à l’islam, à même les titres de vos livres. N’est ce pas qu’il faut finir par vendre? Bref, un combat qui s’émeut dans la force des convictions doit avoir des assises solides. Cependant, pour vous qui avez choisi vos combats hors de votre pays d’origine, en fuyant ainsi la barbarie, vous utilisez sciemment la démocratie pour mieux l’éradiquer, vous continuez d’utiliser les musulmans comme un fond de commerce dans votre croisière, administrant l’argument de faveur aux médias qui vous tendent la perche, s’enorgueillissent de vous utiliser en lubrifiant sciemment leur message à tout le monde musulman. Quelle nuance faut-il établir entre vous et les femmes qui sont restées chez elles, en militant contre l’obscurantisme sans se protéger par aucune carapace?

Votre combat centré sur l’exigence de la laïcité demeure rationnel. Vous affirmez que « sans laïcité, aucune perspective démocratique n’est possible ». Cette théorie, néanmoins plausible d’un point de vue éthique, pose au niveau des sociétés musulmanes le problème éminent de l’adhésion à une pensée islamique contemporaine, fédératrice d’une concertation collective entre toutes les castes au nom de l’unicité de la religion. Vous revendiquez un monde musulman purement laïque comme si vous n’assumez pas que les paramètres d’application de cette laïcité sont dépendants de modules d’allégeances et de tribalisme qui engouffrent sciemment la structure sociétale arabe. À votre façon, vous attaquez à la question du voile des femmes musulmanes au sein de la société québécoise, auprès de laquelle vous avez, dans l’un de vos écrits, quémandé la solidarité.

Vous ne prenez de l’altérité que ce qui arrange vos mœurs.

La laïcité n’a pas pour mission d’exclure une religion en particulier de l’espace civique, mais toutes les religions, aussi bien le voile à l’école que le crucifix à l’assemblée Nationale, voir même sur le Mont Royal. Dans le contexte québécois, les valeurs de la laïcité auxquelles vous êtes très attachées, ne sont pas aussi menacées par les islamistes plus que par le cheminement intègre de la société québécoise vers la laïcité.

Lors de vos récents passages dans des émissions de Télévision, vous ne cessez de caresser au sens du poil les musulmans modérés sans manquer de pointer l’islam du doigt. Vous obtenez ainsi la faveur des médias en occident car vous acceptez de dilapider les musulmans en cautionnant l’image rétrograde que ces médias se plait de maintenir sur eux. Sachez que le jeu des miroirs aux alouettes finit par discréditer les détenteurs des grandes vérités. Je me joins ouvertement à ceux qui dénoncent le fait de vous voir semer la haine des perceptions auprès de la population Québécoise. Je me joins ouvertement à ceux qui dénoncent le fait de vous voir utiliser le vide religieux d’une grande frange de la population québécoise, et ce en véhiculant vos messages, et en fermant les yeux sur la censure du débat avec des musulmans modérés, pratiquement invisibles dans ces mêmes médias.

Pour mériter le suc de la fleur, il ne suffit pas juste de le laper. Il suffit de tâter l’espace avant l’œuvre finale. Et là où les pétales ont une structure difforme, le risque qu’ils se fanent par l’effet des tempêtes demeure bien imminent.»

Atlas.Mtl 170 du 8 dec: Par Kamal Benkirane

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