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De la citoyenneté sportive…

Une fois n’est pas coutume: ce numéro sera dominé dans son contenu par les actualités sportives. Ce choix nous semble d’autant plus justifié que dimanche 9 octobre, à l’échelle d’un Continent, l’Afrique, où se déroulait le sixième (et dernier) tour du tournoi pour la qualification à la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations de soccer-football, les événements se déroulant sur les pelouses de 23 pays différents obnubilaient les peuples de 46 pays et étendaient leur impact tout autour de la planète, jusque dans les contrées  les plus éloignées.

Cet engouement, traduit en chiffres, aurait de quoi faire rêver bien des politiciens en quête de sympathisants. En effet, dans les tribunes des 23 stades abritant les matches de ces journées des 8 et 9 octobre 2011, ce sont pas moins de 1,2 millions de spectateurs qui se pressaient  et derrière eux, de l’autre côté des écrans de télévision, ont est passé tout prêt du milliard de téléspectateurs, mobilisés toutes affaires cessantes.

Prenons un exemple : au Maroc, ou l’équipe des Lions de l’Atlas recevait l’équipe de Tanzanie pour une victoire qui seule pouvait la qualifier pour la CAN 2012, 65.000 personnes ont pris  d’assaut le Stade de Marrakech…qui ne peut en accueillir que 45.000; on a donc joué à guichets fermés et on a refusé du monde; 20.000 personnes qui ont du rejoindre la cohorte des téléspectateurs dont le nombre vérifié par l’audimat, se serait établi à 20.000.000 !

Les Marocains du Monde n’étaient certainement pas en reste dans cette ruée. On n’en voudra pour preuve que l’affluence enregistrée dans les cafés de la ville qui proposaient le visionnement du match à leur clientèle du jour. Et pourtant ici, il faut noter que beaucoup d’originaires du Maroc, après longue hésitation, se sont plutôt ralliés à une chaine de télévision locale qui proposait, au même moment, à quelques minutes près, un match de hockey sur glace, le second de la saison officielle, opposant le Canadien à Winnipeg, de retour en LNH après 15 ans d’absence. Malgré quoi, gageons que sur les 80.000 originaires du Maroc vivant dans la Métropole, la moitié environ devait être cet après midi-là, scotchée à un écran plat !

Que signifient ces observations?

En réponse à cette question,  il faudra les rapporter à des faits politiques ou sociologiques.

Sachant qu’aux dernières élections législatives marocaines, sur un corps électoral de 13 millions d’inscrits 34 % seulement ont voté (4,6 millions de votants), les spectateurs et téléspectateurs du match auront ainsi été une fois et demie plus nombreux que les électeurs potentiels et quatre fois plus nombreux que les participants à la consultation. Il n’y a pas de doute qu’alors le Parlement sorti des urnes aurait été radicalement différent de celui dont le mandat s’achève en novembre prochain. Meilleur ou pire ? Nul n’en sais rien, mais différent certes et assurément plus proche et plus représentatif de la population au nom de laquelle il légifère.

Pour ce qui est du microcosme maroco-montréalais et de sa répartition entre fans de foot et fans de hockey; il revêt aussi un sens prochain que l’on observe dans toutes les communautés culturelles du pays : l’attachement à une «valeur» puisée dans la culture d’origine et l’adoption d’une «valeur» rencontrée dans le pays de vie. Les deux à la fois puisque, quelques minutes après la fin des rencontres,  pour échanger leurs impressions et informations, tout le monde a afflué vers le lieu, devenu traditionnel,  de la Fête des sports, le Petit Maghreb de Jean-Talon. Le Maroc ayant gagné 3 buts à 1 et le Canadien l’ayant emporté 5 buts à 1, on avait donc fait «carton plein» et la fête n’en aura été que plus belle!

Les marocains et originaires du Maroc, exemple choisi autant du fait de l’actualité et de la facilité, ne sont cependant pas uniques dans cette dynamique de l’allégeance au sport. Ils ressemblent en tout point en cela à tous les peuples du monde. Dans tous les pays du monde en effet, lorsqu’un meeting politique réunit 200 personnes, c’est un grand succès, mais lorsqu’ une épreuve sportive se déroule devant moins de 10.000 spectateurs, c’est un scandale national!

On en oublierait presque que la politique détermine notre sort bien plus que les exploits (par ailleurs fréquemment intermittent) sportifs qui, au mieux flattent un instant notre orgueil. Est-ce là une sorte de pis-aller compensant nos frustrations sociopolitiques concrètes et durables par des moments d’euphorie sans impact réel sur nos vies ou alors serions-nous entrés dans un Âge des Loisirs où l’inutile et le superflu supplantent l’essentiel ?

Voilà bien une question à laquelle sociologues et politiciens devraient s’intéresser. Pour tenter de remettre les choses à leur vrais places, pour notre citoyenneté cesse de ne s’exprimer seulement pour saluer des buts, des passes, des feintes et des dribbles…

Abdelghani Dades (Edito Atlas.Mtl du 13 octobre 2011)

Atlas Media (journal Atlas.Mtl numéro 166)

Rubriques : Actualités, Édito
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