Imagine-t-on par exemple une Rachida Dati votant, ou plus encore, se présentant au Maroc alors qu’elle occupe la fonction qui était la sienne en France ?
Une fois n’est pas coutume, voilà que des hommes entendent prendre exemple sur les femmes, qui plus est en matière politique ! Lors d’un point de presse organisé courant août par un collectif d’associations de Marocains du monde (MDM), le président de celui-ci a eu le propos suivant : «Nous voulons faire comme les femmes», a-t-il déclaré aux journalistes présents. Référence était faite à la liste nationale, les associations réunies dans le collectif en question tenant de manière impérieuse à ce que, par ce biais, les MDM prennent part aux prochaines législatives. Lors de la dernière réforme constitutionnelle, le droit de vote et d’éligibilité de ces derniers a été inscrit dans la loi suprême, satisfaisant une revendication vieille de plusieurs décennies. Dans l’article 17, il est, de plus, explicitement stipulé que le vote des MDM doit pouvoir se faire à partir des pays d’accueil. Or, en raison de la proximité de la date arrêtée pour les élections à venir, à savoir le 25 novembre, les autorités ont fait comprendre qu’il n’était techniquement pas possible, pour cette fois-ci du moins, de mettre en place les moyens nécessaires à cet effet. Et, par la voix du ministre de l’intérieur, ont proposé que le vote se fasse par procuration. Niet, ont répondu les militants associatifs les plus engagés sur le sujet, le vote est une affaire strictement personnelle, il ne saurait être question de le déléguer à des tierces personnes. La seule solution transitoire acceptable à leurs yeux serait donc de passer par la liste nationale. D’où la demande adressée au gouvernement et aux partis politiques de «faire comme les femmes», à savoir de disposer d’un quota dans le cadre de la liste nationale.
Au delà du côté gag de la référence appuyée aux femmes venant d’une communauté plus réputée pour son conservatisme que pour son féminisme, cette mobilisation autour du vote des MDM mérite à plus d’un titre qu’on s’y arrête. Le nombre des originaires du Maroc à travers le monde tourne autour de cinq millions, soit 12% de la population marocaine. Leurs transferts, qui constituent l’une des principales sources de devises du Royaume, font vivre 25% des familles de celui-ci. La demande est donc d’une légitimité absolue. «Les MDM ont besoin de sentir qu’ils sont des citoyens à part entière», a martelé le président du Collectif des associations marocaines d’Europe lors de cette rencontre avec la presse nationale. Or, rappellent ces acteurs associatifs, cela ne peut être sans la participation à la vie politique du pays. Une expérience fut tentée par le passé, le Parlement ayant compté cinq députés MRE en 1984 et 1992. Mais celle-ci n’ayant pas été concluante, elle n’a pas été renouvelée. A côté des difficultés techniques représentées par l’organisation du vote dans les pays d’accueil, se pose celui de la représentativité à distance. Un vrai casse-tête chinois. A supposer que les questions relatives à leur élection aient toutes été réglées, reste la capacité de ces députés MDM à pouvoir participer aux séances du Parlement à Rabat tout en continuant à être établis dans leur pays d’accueil, la condition sine qua non pour demeurer en prise avec la vie de leurs électeurs.
Ceci étant, la problématique de fond outrepasse les difficultés spatiales et techniques en ce qu’elle renvoie à la question de la double appartenance nationale. Depuis les années 60, date des grandes vagues migratoires, les termes génériques qualifiant la diaspora marocaine n’ont cessé de se modifier, reflétant les changements intervenus au niveau de celle-ci. Après TME, il y a eu RME, puis MRE et puis maintenant MDM. Lors du point de presse précité, un des intervenants a rejeté la dénomination MRE pour lui préférer celle de MDM, plus conforme selon lui à la nature actuelle de la diaspora. Nous ne sommes plus effectivement face à des RME ou des MRE, à savoir des Marocains qui «résident à l’étranger», mais devant des Marocains du monde, des Marocains dont l’identité s’est enrichie d’une dimension nouvelle. A la différence des premières générations, qui ont vécu en tant qu’étrangers dans les pays d’accueil, les suivantes se composent désormais de nationaux, de ces pays-là. Autant donc la participation des premiers expatriés marocains à la vie politique du Maroc constituait effectivement un droit constitutif de leur citoyenneté, autant pour leurs enfants la situation apparaît comme autrement plus complexe. Comment, en effet, revendiquer du pays d’accueil qu’il vous reconnaisse pleinement et entièrement comme l’un de ses citoyens, qu’il vous accorde la place qui vous revient en tant que tel, si dans le même temps vous prenez part à la vie politique d’un autre pays ? Imagine-t-on par exemple une Rachida Dati votant, ou plus encore, se présentant au Maroc alors qu’elle occupe la fonction qui était la sienne en France ? Pour être extrême, cet exemple a le mérite de montrer la difficulté de la chose. Tant que l’on reste sur le plan identitaire et culturel, la binationalité ne pose pas de problème. Où que l’on aille, on conserve en soi ses racines et nul n’est en droit de demander leur reniement. Il n’en va pas de même pour ce qui est de la participation à la vie politique du pays d’origine. Outre que celle-ci ouvre un boulevard aux forces populistes des pays d’accueil toujours promptes à remettre en question la citoyenneté des «personnes d’origine», elle est difficile à mettre en pratique dans les faits. Le casse-tête n’est pas prêt d’être résolu.
Hind Taarji. La Vie éco