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Entretien avec Kamal Benkirane «L’insertion doit être un combat de chaque jour et une victoire qui doit se mériter»

Kamal Benkirane

Ce natif de Casablanca à une profonde connaissance de la nature humaine et du respect qu’elle mérite. Il est auteur-éditeur, et  fondateur des Éditions Passerelle ; ses poèmes rappellent son ardent désir de faire partager à ses lecteurs la magie des mots, qui rend hommage   à une culture séculaire où les traditions écrites et orales demeurent gardiennes d’un héritage millénaire. Entretien.

Wahid  Megherbi : Toute  communauté  est influencée par un  environnement ou les media jouent un rôle primordial. Pensez-vous  que nous, Maghrébins, avions donné assez d’importance au rôle que pourraient  jouer la Culture et l’information dans notre intégration au Canada?

Kamal Benkirane : Personnellement, je pense qu’on devrait donner plus d’importance au rôle que pourrait jouer la culture et l’information dans notre intégration au Canada. Ceci revient de prime  abord aux institutions mise en place par nos communautés pour faciliter notre intégration au Canada, c’est le devoir de chacun d’entre nous, mais  ca revient aussi, entre autres, aux gens de bonne volonté, mécènes de la culture et passionnés du Maghreb et de sa culture. En supposant que certains efforts sont fournis à bon escient, il ne faut pas oublier que la manipulation des masses au sein des sociétés occidentales est une constante orchestrée par les médias et consorts.  Le problème de la perception des communautés  conditionne le cheminement de celles-ci  au sein des sociétés d’accueil.  Lorsque  certains journaux stigmatisent nos communautés avec des préjugés négatifs, on se demande quelles sont les tenants et aboutissants d’une telle attitude, et comment pourrait- on s’intégrer sans anicroches majeures. Si  on se réapproprie d’une manière approfondie notre culture maghrébine que l’on pourrait imbriquer à la culture de la société d’accueil, on pourrait arriver à une première  façon  intelligente d’arborer, fièrement,  nos valeurs et nos acquis. Bref, Je pense que les intellectuels sont les porte-paroles de l’identité d’un peuple ; souvent, ils ont influencé le cours de l’histoire de leur pays. Il faut continuer de militer à travers  l’écriture et  le débat des idées, sans faillir à notre sens critique et notre sens de l’objectivité.

 Quel pourrait être le rôle de l’élite intellectuelle Maghrébine d’ici pour amarrer notre communauté  au train de la société d’accueil ?

Un rôle majeur! Il suffit juste d’en être conscient, de ne pas baisser les bras, et il suffit que chacun excelle dans son domaine et continue d’œuvrer pour une réelle reconnaissance. Les médias sociaux tels que Facebook ont prouvé que la donne politique peut être renversée par des intellectuels et des citoyens, il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé avec le printemps arabe. Au Québec, il y a des institutions culturelles minoritaires qui sont ouvertes aux communautés culturelles, d’autres institutions qui avancent souvent leur réticence de s’ouvrir par méconnaissance de ces cultures en question. Dans le fond, il s’agit d’une certaine défense culturelle pratiquée par une certaine frange de la population, glorifiant la langue comme fait identitaire et historique, et qui empêche les choses d’aller normalement. L’insertion au sein des institutions culturelles québécoises doit être un combat de chaque jour, et une victoire qui doit s’arracher. Aussi, les intellectuels pourraient créer des regroupements d’artistes Maghrébins au Québec;  ils seraient soutenus et supportés par des centres culturels  et associations issus de notre  communauté;  ils créeront ainsi, des passerelles avec la société d’accueil. Un débat interculturel et interdisciplinaire doit souvent être tissé et permettra  un  rapprochement bénéfique pour tous.

C’est un vœu louable, mais qui va enclencher le  processus  pour permettre la concrétisation de ce projet car  vivons une sorte de stagnation qui pèse sur le futur de notre communauté?

Oui, et c’est une vraie stagnation, et il  y a un relent d’insouciance de la part de la société québécoise. Rappelons brièvement que ce qui mine, entre autres, l’insertion des maghrébins au Québec c’est le corporatisme, avec ces ordres d’ingénieurs, de médecins avec des critères sévères, cette sacro-sainte expérience québécoise qui freine les élans des nouveaux arrivants, ces 45000 ou plus, de nouveaux arrivants qui débarquent annuellement au Québec ou à chaque deux ans, et qui posent un problème quant à leur insertion puisque la capacité de les intégrer est dépassé et les entreprises ne peuvent jamais embaucher si l’état n’intervient pas sciemment.

Cela dit, 28% de taux de chômage c’est trop pour la communauté maghrébine. Pourquoi ce n’est pas le cas des autres? 

Tout ces problèmes sont là, mais ne peuvent constituer un prétexte pour stigmatiser une communauté ou une autre. Imaginez que même au niveau culturel, un artiste maghrébin, dans sa première expérience québécoise, ne peut être reconnu, accrédité, publié par un organisme québécois que si il a été déjà publié ou reconnu, publié, etc. par un autre organisme québécois! Mais est ce que cet organisme lui donne sa chance? Vous voyez le contraste? Il y a quelque chose d’inapproprié dans tout cela. Nos représentants politiques et hommes d’affaires doivent poser aussi des gestes crédibles, supporter les associations, œuvrer pour la conception de projets bénéfiques, des centres culturels, communautaires etc. Bref, Nous nous devons d’intégrer les institutions politiques pour ne pas êtres absents des  centres de pouvoirs qui  décident à notre place, souvent à tort. En ayant assez de sièges pour des députés et des représentants  qui espérons le assumerons comme il faut le devoir d’être nos porte-paroles, ainsi, on pourrait espérer déverrouiller le carcan qui nous entoure et mettre fin à cette chape de plomb qui cadenasse les avancées  de notre communauté.

Mais pour cela il faudrait que nos ressortissants  aient envie de voter, ce qui n est pas le cas de nos jours ?

La citoyenneté participative doit être véhiculée comme un principe majeur pour chacun d’ entre nous. Effectivement, beaucoup de ressortissants ne votent pas peut être bien par désillusion envers le monde de la politique, encore que la plupart ne votaient pas dans leurs pays d’origine. C’est une culture héritée. Les gens commencent, petit à petit  à prendre conscience de l’impérieuse nécessité de faire valoir leur droit qu’est le vote. Il  y a des gens qui préféreraient  aller voter à travers les  médias sociaux comme Facebook, vu l’importance qu’occupe ce média dans notre vie quotidienne.

 Les  Medias sociaux vont-ils  jouer un rôle dans notre sursaut communautaire ?

Les  medias sociaux ont  permis à Barack  Obama  de se faire porter à la présidence de son pays en ayant le support effectif d’une majorité de ressortissants surtout d’origine afro-américaine. Les Syriens ont pu pérenniser  leur révolution  en  se concertant  à travers ce fabuleux outil  médiatique qu’est  Facebook. Je pourrai citer les cas des révolutions tunisiennes et égyptiennes, qui ont émergé  à travers  les messages  échangés  par  des citoyens. Lorsqu’on crée une page Facebook pour sensibiliser les internautes sur une cause quelconque, ceci marche si bien que la concertation autour du sujet n’a pas plus d’importance finalement devant le flux quantitatif des abonnés sur cette page.

Croyez vous que les Médias communautaires ont rempli leur mission jusqu’ aujourd’hui ?

Les Médias communautaires vont leur train, permettent les connections qu’il faut, et font ce qu’ils peuvent pour transmettre le contenu. Imaginez  si ces médias n’existaient pas, nous serions écartelés aux quatre vents, comme des personnes errantes dans un vaste désert. Je pense que les médias créent du mieux qu’ils peuvent les passerelles, c’est au tour de la société d’accueil d’accorder la place appropriée qui sied à la presse communautaire.

Il faudrait aussi dénoncer la perception négative véhiculée par  les médias de la société d’accueil envers la presse communautaire. Dénoncer aussi certaines conceptions biaisées qui affilie tout ce qui est communautaire au multiculturalisme et ses rouages, comme si le travail de ces médias communautaires n’est pas supposé compléter l’échiquier de la diversité des médias au Québec!

Je salue, toutefois, le choix éclairé de certains partis qui manifestent une volonté politique réelle pour aider ces médias communautaires, en reconnaissent la démarche.

Wahid  Megherbi

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