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Cinéma: «Tinghir, les Échos du Mellah»; Les reflets d’un Maroc en voie de disparition

Kamal Hachkar

Le film ne paraîtra qu’au printemps 2012, pourtant, il est déjà inscrit à de nombreux festivals, il est demandé partout et il sera certainement reconnu pour son apport à une Histoire qui pourrait bien faire un retour sur elle-même et apporter une pierre à une œuvre de paix à laquelle chacun aspire.

Bonne nouvelle, en presque Première mondial, il sera projeté à Montréal le 31 mars prochain, à l’initiative d’une jeune association, Mémoires & dialogue, qui se donne pour objectifs, comme » «Tinghir, les Echos du Mellah», de lutter contre les `exclusions par ignorance`et d’agir pour la paix.

Le réalisateur du film, Kamal Hachkar est le premier surpris par les échos propagé par son travail. Fils d’un émigré marocain en France, il apeu connu son pays dans son enfance, et encore moins l’histoire, que justement, il enseigne en banlieue parisienne. Mais celle-ci l’a rattrapé lorsque, en vacances-pèlerinage au village natal de son père, Tinghir petit bourgade du Tafilalet perdue dans les sables du pré-Sahara, il découvre que le Maroc n’est pas seulement le pays des Musulmans, mais que des juifs y sont nés, y ont vécu et lui reste attachés malgré les migrations, les «alia» et les exode.

De ce choc culturel presque à rebours est né ce film, dont Kamal Hachkar nous parle ci-après.

Atlas.Mtl : Kamal Hachkar, pourquoi «Tinghir, les échos du Mellah» ? 

Kamal Hachkar : Tout d’abord, laissez-moi vous dire que la sortie est prévue pour début 2012. «Tinghir, les échos du Mellah» est une coproduction entre 2M et la société «Films d’un jour». Réda Benjelloun, le directeur des programmes de 2M, a tout de suite accroché lorsque je lui ai présenté le synopsis du film et m’a fait entièrement confiance pour la suite de l’aventure. Le fruit de ce travail de 4 années est là aujourd’hui, je suis ravi qu’il soit diffusé sur une télévision publique au Maroc, et très probablement à une heure de grande écoute. En parallèle, je ferais la tournée des grandes villes du Royaume pour présenter le film dans les écoles, les collèges et les lycées. En effet, à mes yeux, l’occultation scandaleuse de la dimension hébraïque de l’identité et de l’histoire du Maroc est une réalité dont l’élite marocaine est en grande partie consciente. Mais aujourd’hui, c’est au peuple qu’il faut transmettre cette conviction, via notamment les manuels scolaires d’histoire et les médias de masse. Le fait que «Tinghir, les échos du Mellah» soit porté par un réalisateur lui-même enfant du peuple, fils d’un ouvrier immigré, est à ce propos fondamental dans le travail de sensibilisation que j’ambitionne de mener, et que mènent également tous ceux qui se battent pour la restitution de la mémoire judéomarocaine. Le poids des mots et la force des images sont notre arme contre l’oubli et contre les forces obscurantistes. Et je peux vous dire qu’il s’agit d’une tâche de longue haleine, tant un certain panarabisme, par son discours antisémite, a fait du mal à ce pays.

Il y a donc de l’antisémitisme au Maroc ?

L’antisémitisme ordinaire, celui de «wahed lihoudi hachak» (littéralement, «un Juif sauf votre respect»), que l’on entend parfois dans le taxi ou au souk, est davantage une mauvaise habitude, héritée de stéréotypes vieillots, qu’un racisme construit dirigé contre les Juifs. Parler d’une idéologie antisémite chez le Marocain est un faux procès politique, tant la force de la culture et de la société marocaine réside justement dans sa grande modération et sa capacité millénaire à intégrer toutes les affluences ethniques et religieuses pour ne fonder qu’un seul peuple. L’antisémitisme dont je parle est celui découlant d’une certaine idéologie panarabe d’hier et d’aujourd’hui, qui, instrumentalisant la cause, a distillé des idées biaisées, bornées voire haineuses, associant judaïsme et sionisme, occultant ou dénigrant sciemment dans une rue majoritairement arabo-musulmane toutes les identités minoritaires ethniques et religieuses. Ce travail de propagande a été d’autant plus facile que les jeunes générations de Marocains de confession musulmane n’ont pour la plupart jamais côtoyé de juifs de leur existence, contrairement à leurs parents ou leurs grands-parents. Et que l’école publique n’évoque les Juifs que dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Or on connaît bien toutes les crispations qui entourent ce conflit. Comment voulez-vous ne pas créer d’animosité avec des ingrédients pareils? Lorsque, montrant des extraits de mon film à des adolescents de Tinghir, je les ai vu pleurer en écoutant Aïcha, une octogénaire israélienne, chanter une chanson Ahidous qu’elle a appris étant enfant à Kfar Todra, j’ai compris tout le mal que la méconnaissance de l’autre pouvait causer.

Mais votre film n’a pas que cette dimension nostalgique?

Au-delà de la nostalgie, «Tinghir, les échos du mellah» est un film sur l’absence, sur la perte de l’autre, et le besoin de ce même autre pour savoir qui je suis. C’est un regard sur l’altérité, et sur les identités multiples qui peuvent nous habiter. Il s’agit là d’une question fondamentale, du b.a.-ba du vivre ensemble. C’est une oeuvre cinématographique qui espère lancer un débat politique et social salutaire, en révélant le vide laissé par l’éducation nationale, une béance dangereuse qui fait le lit des intégrismes. Je ne comprends pas, par exemple, que les livres d’Edmond Amran El Maleh, ou d’autres intellectuels et artistes juifs marocains, ne soient pas étudiés en classe au même titre que ceux de leurs concitoyens de confession musulmane. Pourtant, au quotidien, les 5000 Juifs du Maroc vivent côte à côte avec leurs voisins musulmans et pratiquent leur culte en toute liberté. Ceux de la diaspora viennent tous les ans en pèlerinage sur les tombeaux de leurs saints des quatre coins du monde, gardent leur nationalité même en quittant le Maroc, et leurs descendants peuvent la recouvrer à tout moment sur simple demande administrative. Et beaucoup savent comment Mohammed V a sauvé ses sujets juifs du régime de Vichy, et que son fils Hassan II a reçu Shimon Peres en juillet 1986. Enfin, la nouvelle Constitution plébiscitée le 1er juillet dernier, et qui reconnaît la composante hébraïque comme partie intégrante de l’identité culturelle marocaine est un pas positif, mais ce n’est pas suffisant. Les symboles sont certes très importants, mais il est temps de passer aux actes, en commençant par l’école. Cela a été une véritable tragédie pour le Maroc que cette amputation d’une partie de son peuple. Aujourd’hui plus que jamais, il est temps d’assumer pleinement le passé, de le réveiller, avec ses épisodes heureux, mais aussi douloureux, pour mieux poser les jalons de l’avenir.

Qu’est-ce qui explique ce clivage entre la réalité vécue et le discours public ?

Je pense qu’il existe un profond malaise de la classe politique du pays autour de la responsabilité partagée dans l’exode des Juifs du Maroc, et d’une des raisons à l’origine de leur départ, à savoir la création d’Israël. La simple évocation, en public s’entend, du nom d’Israël provoque une frilosité chez une grande partie de la sphère partisane marocaine, effrayée de se voir attribuer des velléités de «normalisation avec l’entité sioniste» tant vilipendée dans les médias. Cette politique de l’autruche est stérile. Cet État est là depuis 60 ans, 20% de sa population est arabe, musulmane et chrétienne. Le vrai combat aujourd’hui devrait être conduit contre tout ce qui mine le processus de paix et partant la création d’un État palestinien, à savoir la poursuite de la colonisation et l’extrémisme des deux bords. Arrêtons avec cette victimisation permanente; de part et d’autre. Montrons que nous sommes des milliers de Juifs et de musulmans à vivre, travailler et construire des choses formidables ensemble, au Maroc, et partout dans le monde. Transmettons du positif à nos enfants, montrons-leur qu’il y a de la lumière et pas juste de la pénombre. Montrons-leur que la paix est possible… Il est temps d’assumer le passé, de le réveiller avec ses épisodes heureux et douloureux, pour mieux poser les jalons de l’avenir.

 

Le combat contre l’oubli de Kamal Hachkar

Né en 1977 à Tinghir, Kamal Hachkar quitte le bercail à l’âge de 6 mois avec sa mère pour rejoindre son père ouvrier en France. 40 ans plus tard, Kamal, devenu professeur d’histoire à Paris, questionne le passé pour mieux comprendre le présent… et bâtir l’avenir. Dans «Tinghir, les échos du Mellah», tourné entre le Maroc et Israël, l’enfant de la vallée de Todgha revient sur la présence juive dans ce petit village berbère, et réveille avec poésie et émotion les souvenirs d’un douloureux départ. Il se livre ainsi, caméra au poing, à un combat contre l’oubli qui mérite d’être considéré et soutenu.       

Atlas.Mtl 171 du 22 décembre 2011 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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