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Ainsi parlait Bergson

Ainsi parlait BergsonDans notre précédente édition, en même lieu et place, nous évoquions cette tendance – aux effets sans doute désastreux quand à la place du Québec au classement mondial de l’Indice  du Bonheur des Nations – à la raréfaction du sourire, de la politesse et de la courtoisie dans l’espace commun, jumelée à une montée de la violence dans notre quotidien. Le fait est, on doit à la vérité de le dire, compensé par la floraison de l’humour, animée par des humoristes désormais presque aussi nombreux que des tulipes à Ottawa au mois de mai.

Et ce second constat n’est pas aussi anodin qu’il peut y paraître de prime abord.

Le rire, une chose sérieuse

Car le rire est rarement chose gratuite. On ne le sait pas suffisamment, mais ce réflexe musculaire, également classifié comme «le propre de l’Homme» (et, bien sûr, de la femme aussi), est chose sérieuse. Suffisamment sérieuse pour avoir suscité un grand intérêt chez les spécialistes de la santé qui lui prêtent mille vertus, comme chez les anthropologues qui en ont fait un marqueur important de l’évolution des sociétés humaines, ou encore chez les sociologues et les philosophes, dont un certain Henri Bergson, auteur le siècle dernier, d’un ouvrage qui fait toujours référence, Le Rire et la Signification du comique.

On apprendra au fil des lectures sur le sujet que «comique» veut dire «tiré de la comédie», définition qui renvoie vers des approches négatives, caricaturales ou teintée de dérision et qui, appliquée à la fois aux œuvres de Molière et à des ouvrages tels «L’État spectacle» de R.G. Schwartzenberg, ferait de nos ris des prises de position de nature politique, teinté de volonté de dénigrement de la chose publique que nous réprouvons.

À «comique» nous préférerons donc le concept «humour» qui, selon les bons dictionnaires, est «forme d’ironie plaisante, consistant à souligner avec esprit les aspects drôles ou insolites de la réalité»; et nous y joindrons ce point de vue de la médecine, voulant que le fait de rire provoque des sécrétions hormonales euphorisantes semblables en leurs effets à ceux des drogues (mais naturelles, il est permis d’en user sans modération) et permettant, au moins momentanément, à une réalité désagréable ou pénible.

Et c’est là que nous rejoignons la sociologie. Cette science a en effet observé, chez tout peuple confronté à une conjoncture difficile, une nette recrudescence de l’humour. La floraison Québécoise relevée plus haut participe incontestablement de ce constat. Car une réalité désagréable nous avons, en l’occurrence la situation économique qui appelle à des mesures urgentes autant difficile. Mais pas seulement.

Le rire du Québec

Le génie de l’humour populaire tient en effet à sa capacité de déceler Toutes les situations délicates et de parvenir à les dédramatiser par le biais du rire; mais un peu à retardement. L’économie, et les mesures d’austérité inévitablement à s’ensuivre, sont des révélations récentes; l’humour sur fond d’économie sera donc, à court terme, Le sujet que les humoristes privilégieront. Mais aujourd’hui, la veine la plus exploitée est celle qui a été découverte il y a de cela quelques mois ou quelques années, mais que le microcosme politique comme les média ont peu – ou pour certains – mal abordé et analysé : la diversité et son cortège de ratés et de ratages, en matière d’intégration ou d’inclusion, en matière d’équité dans l’accès à l’emploi etc.

20ème sujet d’intérêt dans les média en 2013, objet de projets politiques qui ne disaient ni leur nom ni leurs objectifs, la diversité n’en meuble pas moins «shows» et scènes; comme, heureux effet collatéral, elle a donné leurs lettres de créances à de nombreux talents issus de communautés culturelles d’immigration récente, tels Boucar Diouf, Rachid Badouri, Sugar Sammy et autres Neev; et derrière ces désormais vedettes, quelques dizaines de jeunes en devenir qui attendent leur heure…

Tous justifient également la fonction sociale et sociologique du rire et de l’humour : dédramatiser des situations qui autrement pourraient évoluer de manière explosive, faire prendre conscience du caractère insolite et injuste de ces situations et, après avoir fait bien rire,  donner à réfléchir.

Et l’on peut en conclure que puisque le Québec rit, les choses ne peuvent que mieux aller.

Encore du chemin à faire

Ceci dit, pouvons-nous nous contenter de ce verre à moitié plein? Certes non; et, d’ailleurs, bien du monde et bien des organismes marquent une nette volonté de diffuser leurs messages sous enveloppe d’humour. Vous trouverez de cela de nombreux exemples dans les pages qui suivent. Atlas.Mtl suit d’ailleurs également cette tendance; mais pour faire œuvre utile. Par exemple puisque nous nous attendons à ce que le prochain vecteur porteur de l’humour soit l’économie, pour que chacun puisse maîtriser le contexte dans lequel nous serons invités à rire, nous vous proposons quelques articles  de vulgarisation des grands concepts économiques et financiers. Mais aussi, pour le plaisir, une sorte de travail dirigé, avec le délicieux entretien que Boucar Diouf, maitre du genre à bien voulu nous accorder.

Et souvenez-vous toujours que le rire – comme le sourire – sont des vertus presque cardinales…

Post-scriptum  (sans rapport avec ce qui précède) 

Dans notre numéro 229, du 8 mai 2014, sous le titre «Petits signes et grandes attentes, nous écrivions : « Pour qui aurait été sourd à ces cris silencieux, les trous qui se multiplient dans les filets sociaux ne pouvaient laisser aucun doute : nous avons fini de dilapider l’héritage prospère légué par une génération de travaillants, qui ont fait est la révolution tranquille et un Québec prospère et dès lors généreux.

Devant tout cela il était évident que lorsque le gouvernement est venu nous annoncer que la situation financière sans être catastrophique n’en est pas moins à prendre au sérieux, on le pressentait déjà et, dans notre for intérieur, on attendait les dirigeants qui allaient avoir le courage de dire les choses comme elles sont réellement et de prendre les mesures que la situation impose.

Bien entendu, il y a quelques réserves émettre, sur le dosage des mesures à envisager. Ni brutales, ni draconiennes; compressions oui, mais pas à coup de sabre. Rigueur, d’accord; pas  austérité absolue.»

Le mardi 20 mai suivant, nous entendions, avec bonheur et surprise, M. Philippe Couillard, Premier ministre du Québec, déclarer au seuil du Salon bleu et de la session parlementaire, déclarer à propos des intentions économiques et budgétaires de son gouvernement, qu’il «préférait le mot rigueur budgétaire» à l’idée d’austérité.

En mettant en exergue cette coïncidence des idées, nous n’avons pas la prétention de croire que le Premier ministre compte parmi nos lecteurs ou que nos idées l’inspirent. Le distinguo rigueur-austérité n’est d’ailleurs pas de notre cru autant qu’il est la traduction dans les mots justes de ce que pensent, sans pouvoir le verbaliser, de très nombreux concitoyens. Que le premier ministre le pense aussi ne prouve donc qu’une chose : que le chef du gouvernement à bien entendu et bien compris les attentes du peuple. Ceci, sans doute, provoquera un sourire d’aise chez bien des gens préoccupés par le futur immédiat. Espérons que le réalisme politique, qui présidera aux prises de décisions à venir, permettra au gouvernement de respecter cet engagement et de faire qu’il ne soit pas seulement sémantique. Ne serait-ce que pour nous permettre de garder le sourire et de profiter un peu plus des vertus bienfaisantes du rire.

Abdelghani Dades (Édito atlas 230 du 22 mai au 3 juin 2014)

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