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Mots et malheurs du monde

Mots et malheurs du mondeLes faits n’ont rien de réjouissants : attentats à Boston et Tripoli, tueries en Iraq et en Syrie, explosion d’une usine américaine et tremblement de terre en Chine. Et cortèges de morts violentes, injustes et injustifiées; sang et larmes au quotidien.

Et dans ce triste scénario, face auquel – démission ou lâcheté – on se console en disant, qu’après tout, ça n’arrive qu’aux autres, se glissent des choses telles que l’avortement d’une tentative d’action violente sous nos fenêtres, ici, au Canada.

Depuis plus d’une semaine, il ne se passe plus une minute sans que nous soyons agressés par quelque triste, dramatique  et violente nouvelle qui, à elle seule suffirait à gâcher nos journées, mais qui, de surcroît est annoncée de telle sorte et dans de tels choix de mots, d’effets de manche, de mines et de ton, que l’on ne peut s’empêcher de penser que tout fout le camp, que rien ne va plus, que la vie n’est plus à apprécier mais seulement à endurer.

Ainsi, plus que le temps qu’il fait et ses sautes d’humeur, plus que l’actualité et ses drames, les médias contribuent au climat de morosité qui est notre lot quotidien.

On n’est en effet plus que jamais dans la philosophie du «poids des mots, choc des images» et «sang à la Une» qui a perverti le champ des média et transformé sa mission première – informer et éduquer – pour en faire la scène première du roman et du film d’horreur.

Dérive

La dérive est telle que l’on en vient désormais à s’étonner lorsqu’un confrère, l’agence américaine Associated Press, s’inscrit à contre-courant de la tendance catastrophiste et grandiloquente de mesdames et Messieurs les chevaliers de la Plume, du Micro et des Caméras.

Associated Press a par exemple choisi de ne plus parler dans ses dépêches de «illegal migrant» (immigrants illégaux), ni de «sans papiers». Ce choix se justifie par le fait que si une immigration peut être illégale, une personne ne peut l’être et que les personnes qui sont en situation d’immigration illégale ont généralement beaucoup de papiers (pièces d’identité, documents de voyage, diplômes etc.) leur problème est qu’elles n’ont pas toujours les bons papiers (titre d’immigration ou de résidence). AP ne parle plus, avec raison et à juste titre, que de «personnes en situation irrégulière»

Que pensent nos confrères de ce souci, louable, d’utiliser des mots justes et rien que des mots justes? Le plus grand mal évidemment. «Langue de bois» est le qualificatif le plus charitable utilisé pour évoquer l’initiative de l’agence.

Levée de boucliers

Mais le summum est atteint ailleurs : AP a également demandé à ses journalistes de ne plus utiliser le vocable «islamiste» pour parler de terroriste. Prudence lexicale logique d’ailleurs. Car parmi une immense majorité de musulmans, on recense un certain nombre d’islamistes. Ceux-ci se distinguent essentiellement par leur rigorisme et leur dogmatisme; mais ils n’ont certes pas systématiquement recours à la violence pour imposer leurs visions du monde. Utiliser «islamisme» comme synonyme de terrorisme est faux, de plus,  «islamiste» et musulmans étant synonymes, appliquer «terroriste» à l’un ou l’autre va de soit et crée, par raccourci sémantique, un amalgame collectivement préjudiciable. Mais ce n’est pas ainsi que cela à été entendu puisque, si «unauthorized person» (personne en situation irrégulière) est plus ou moins bien passé, l’oxymoron islamiste-terroriste à été accueilli par une levée de bouclier : la «purification terminologique» (j’allais écrire ethnique. Pardonnez le lapsus, avec purification, depuis le début du siècle dernier, ces deux vocables allaient toujours ensemble; certaines formes de racismes continuent de les associer, pour d’autres raisons même avec, reconnaissons-le, quelques nuances…); la «purification terminologique» n’a d’objet donc, chez AP, selon les commentateurs de chez nous, que de «maquiller les faits» ce qui ne manqueras pas d’aboutir, au mieux à des «aberrations», au pire à «nous endormir» et à laisser champs libre à tout les terroristes du monde. On a été plus loin encore en prétendant que la recherche du mot juste n’avait pour objet que «de ne heurter aucun client médiatique dans le monde», transformant le souci éthique et déontologique de AP en préoccupation bassement commerciale et c’est tout juste si le mot censure n’a pas été écrit.

À tous les adversaires du mot juste qui empêche les amalgames et les injustices, peut-être ferions nous œuvre utile d’abord en rappelant cette vérité que bien qualifier un problème est le moyen le plus sûr d’en éclairer les pistes de solution et ensuite en citant, de mémoire, un propos d’Albert Camus qui, sur le même problème, dans les années 60 déjà, avait affirmé  que «C’est en nommant mal les choses que l’on fait le malheur du monde».

PS : Il encore une chose à dire, une justice à rendre à AP pour son souci du mot juste. L’agence américaine avait nommé un correspondant au Maroc dès l’indépendance du pays en 1956. M. Stephen «Steve» Smith est resté en poste jusqu’à la fin des années 80. Autrement dit, il a traversé les temps les moins propices à la liberté d’informer dans ce pays, y compris ce que l’on appelle les «années de plomb». Alors que bon nombre de ses confrères d’autres agences ou journaux étrangers se faisaient expulser, Steve, qui n’étaient pas franchement aimé ou apprécié par les autorités du moment, sans jamais faire dans l’autocensure ou la complaisance, a souvent été pris à parti mais jamais sanctionné. Son secret? Toujours choisir le mot juste, même pour dire les choses qui désagréent.  Lui-même nous avait confié qu’il ne faisait ainsi qu’appliquer la politique de l’agence qui l’employait. Stephen «Steve» Smith, devenu depuis une référence au Maroc en matière de déontologie et de pratiques journalistiques saines et utiles.

Abdelghani Dades (Edito Atlas.Mtl 204 du 25 avril au 8 mai 2013)

 

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