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D’André Malraux à Philippe Couillard: Le siècle, la foi et la société

André Malraux

André Malraux

«Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas» avait affirmé à la fin des années 1960 le philosophe et homme d’État français André Malraux. Considérant les effets de la reconstruction de l’Europe et la prospérité qui en découlait, avec entre autres effets un net glissement des comportements humains vers le matérialisme, l’individualisme et l’égoïsme, il considérait de telles attitudes préjudiciables aux valeurs humaines et sociales ainsi qu’à l’éthique qui norme la vie en société. Convaincu que sans morale, la  croissance économique et les développements technologiques seraient sources de troubles plus que de développement, il annonçait  ainsi le grand retour de la spiritualité, à travers ce qu’il en connaissait le mieux : les valeurs religieuses.

Ce que Malraux n’avait pas prévu…

Le retour de la foi à certes eu lieu. Mais ce que Malraux n’avait pas prévu, c’est qu’elle allait entrer en fusion avec un certain nombre d’autres réalités de notre temps et que le magma ainsi formé allait prendre la forme d’une religiosité sans religion, exploitée de diverses manières par diverses forces contradictoires jusqu’à devenir explosif.

Le retour vers la religion est d’abord entré en osmose avec la politique. En Orient, mais également, même si cela est moins visible, en Occident, les politiciens ont fait bien des accrocs à la  vocation laïque des États-Nations du siècle précédent et sous de nombreuses latitudes, commencés à prendre leurs décisions cacher mais sans toujours le dire en fonction de leur convictions personnelles. De ce fait, la géopolitique a connu de profondes mutations qui ont créé une première rupture.  La fracture politique avait auparavant redessiné le monde et l’avait divisé en Est et Ouest, un bloc paré de toutes les vertus et l’autre affublé de tous les vices, mais toujours à l’intérieur d’espaces géographiques définis et de frontières précises, le Rideau de Fer.

Ce qui n’a pas manqué de provoquer une autre rupture, au niveau des peuples et des nations.  La facilitation des mobilités humaines et l’explosion des technologies de communication outils ont vite fait de contaminer les sociétés humaines en ignorant, comme toute épidémie, frontières et sans douanes, sans commun référent culturel ou ethnique. En réduisant le monde à un «village planétaire», l’avion et l’ordinateur ont réuni, dans de mêmes espaces, virtuels soient-ils ou géographiques; ils les ont de la sorte mis à la portée de tous et de chacun, choquant les uns ou séduisant les autres, mais non sans effets pervers.

Plus vulnérables sans doute, les jeunes sont particulièrement exposés à de tels effets. Troublés par de multiples  interpellations séculières ou identitaires, évoluant souvent dans des milieux areligieux (à noter à ce sujet cette statistique constatant que 80% des 1132 «djihadistes» français identifiés sont issus de familles athées), ils adoptent alors des comportements marqués au sceaux d’une logique de transgression qui peut mener à tout et n’importe quoi. Beaucoup succombent à la tentation de la violence et s’attaquent, symboliquement et parfois dans une rage meurtrière, à ce qui symbolise leur malaise : l’école chez les tireurs fous des collèges américains, l’autorité comme dans le cas du tueur de policier au Nouveau Brunswick, etc.

L’actualité veut aujourd’hui que dans cet univers, on s’intéresse tout particulièrement à ceux qui se prévalent de motifs religieux dans leur «combat» personnel. On sait parfaitement aujourd’hui que la revendication d’appartenance formulée par les «djihadistes» ne s’appuie sur aucune connaissance de la religion, de son histoire, de ses apports à l’humanité, de sa spiritualité, de ses valeurs ou de sa morale (les statistiques citées plus haut indiquent à ce sujet que seuls 10% des français se prévalant de l’Islam dans leurs actes ou menées terroristes, ont grandi dans un milieu musulman).  Mais en vérité, les excès que l’on connait aujourd’hui – notamment une violence extrême, meurtrière dans certaines contrées – dont les formes peuvent varier, n’épargnent  plus aucune société humaine.  Et toutes les sociétés humaines en sont embarrassées et ne savent commun y faire face.

Notre jardin…

Le Québec  n’est malheureusement pas exempt de telles situations. Moins violemment peut-être. Mais le drame de Saint Jean est là et bien là. La mémoire de débats publics qui dérapent (par exemple sur les accommodements raisonnables ou sur la charte des valeurs), les manifestations d’intolérance – antisémitisme ou islamophobie – qui se multiplient et génèrent exclusion, stigmatisation de certains segments de la population etc., aussi.

La vigilance est donc nécessaire et la réflexion préventive aussi.

En ce sens, c’est avec un certain espoir que nous avons accueilli la nouvelle de la rencontre tenue par le Premier ministre M. Philippe Couillard avec un certain nombre de membres de  communautés culturelles dont l’un des marqueurs identitaires est la religion musulmane.

Cette rencontre, à notre sens, revêt beaucoup de significations positives. Elle participe en effet d’une nette volonté gouvernementale de rassurer ces communautés; elle a également l’avantage de rapprocher ce segment de la population des centres de décision politique et l’inciter à la participation.

Mais elle peut aussi, sachant la complexité de nos structures sociales et convaincu que toute discrimination même positive et de bonne foi, est une discrimination et avoir des effets stigmatisant, provoquer des effets négatifs et ainsi aller à l’encontre même des buts louables pour laquelle elle s’est tenue, pourtant exprimés avec force par le Premier ministre.

Irréfragablement musulmans ou juifs, beaucoup de québécois n’apprécient guère d’être  interpellés, à la différence de leurs concitoyens chrétiens ou sans appartenance, plus sur leur religion que sur leur citoyenneté.

C’est sans doute dans ce fait que réside le léger malaise qui s’est exprimé après la rencontre.

«Ce n’est qu’un début; le dialogue ne fait que commencer» dit toutefois le Premier ministre. Attendons la  – ou les – suite(s) donc. Mais qu’il nous soit permis de suggérer que ces suites soient élargies à toutes les composantes culturelles et confessionnelles, qu’elles abordent tous les sujets qui nous font mal; la véritable place de la religion et des valeurs sociales qu’elle véhicule,  l’éducation, l’emploi etc.; afin que nous puissions tous contribuer à cultiver notre jardin collectif, le Québec, le mettre en valeur à égalité d’efforts et avec équité dans le partage des récoltes à venir.

Abdelghani Dades (Édito Atlas.Mtl 242)

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