Les débats sur la diversité et son inclusion dans la grande communauté québécoise se sont-ils définitivement arrêtés le 7 avril, à l’issue d’un scrutin législatif dont le projet de Charte de l’ancien gouvernement a assurément constitué un enjeu majeur?
Certes non, car même si la population par son vote à désavoué ce qui n’était que l’expression politique d’un nationalisme québécois ethnique, donc exclusif, et manifesté son soutien à une vision plus ouverte de la citoyenneté et de l’égalité des droits, les tenants des thèses «chartistes» sont loin de renoncer à leur ambition d’une «société à tiroirs» dans laquelle, selon votre lieu de naissance, votre origine culturelle, votre confession ou la couleur de votre peau, vous serez en quelques sortes soumis à une forme d’«assignation à résidence identitaire», définissant votre statut social et professionnel et, même, votre citoyenneté.
Nous n’en voudrons pour preuve que l’un des plus récents écrits de l’un des idéologues de ce nationalisme ethnique que le Québec a majoritairement répudié le 7 avril dernier.
Mi-septembre 2014 en effet, on pouvait lire dans un quotidien à fort tirage que «L’islamisme n’a pas besoin de devenir terroriste pour pourrir un pays».
Ressusciter l’apartheid ?…
Connaissant le mode de pensée de l’auteur de ce jugement péremptoire, il est évident que l’utilisation du vocable «islamisme» est la manière «politiquement correcte» qu’il a trouvé pour désigner et les musulmans et leur religion de façon à stigmatiser encore un peu plus, sans détail ni discernement, une communauté souffrant plus que toute autre de préjugés et d’exclusion. Jouant sur la peur que le terrorisme, dans ses formes actuelles Daesh notamment, instille dans nos cœurs et nos esprits, il profite de cette conjoncture pour accréditer, voire transformer en certitude, l’idée que toute personne dont l’Islam est la foi est, même sans violence, un perturbateur de l’ordre social et un péril la civilisation. Cette présomption de culpabilité, même si rien ne la justifie, ne pouvant rester impunie, il faut la sanctionner. Et dès lors, selon notre idéologue «(…) tôt ou tard, on devra comprendre que la lutte contre l’islamisme impliquera une redéfinition profonde de notre conception de la citoyenneté, des droits de l’homme, de l’immigration et de la sécurité».
Suivre ce «conseil», auquel nous devrions tous nous rendre «tôt ou tard», est donc un impératif de survie du Québec et de sa société. Et tôt ou tard donc, pour le salut de nos âmes, notre pays devra restreindre les libertés et violer les droits d’une partie de sa population et ressusciter l’apartheid en lui donnant les couleurs du temps.
Ce propos extrême, pour ne pas dire extrémiste, est d’autant plus scandaleux qu’il vient remettre en question les fondements même du Canada et du Québec. Ce Pays, grandi à travers le temps de l’immigration s’est, depuis les débuts de la fédération et malgré les soubresauts de l’histoire, doté d’une politique de l’immigration qui fait de la diversité l’une de ses forces. Il s’agit d’une politique d’État, donc s’inscrivant dans la durée, dont l’objectif est d’assurer à tous ceux qui y vivent, y fussent-ils nés d’une lignée de dix-sept générations ou eussent-ils choisi de s’y installer de plus récente date, la possibilité de bénéficier des bienfaits de l’état de droit et des conditions d’épanouissement de leurs talents et potentiels.
… Ou gérer le désensus ?
Cette politique d’État, qui peut connaitre des variations conjoncturelles, ne dépend ainsi ni d’un gouvernement, ni des humeurs d’un courant de pensée. C’est une constante; ses formes peuvent ne pas toujours résulter d’un large consensus, mais à tout le moins émaner d’un désensus géré de manière à ce que les intérêts à long terme de l’État et de la société n’aient jamais à en souffrir.
C’est donc avec satisfaction que nous avons accueilli les propos de Mme Kathleen Weil, Ministre de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion du gouvernement du Québec (voir entretien en pages suivantes) affirmant que son mandat est «de travailler à promouvoir une société ouverte et inclusive dans laquelle on vise rien de moins que la participation pleine et entière des Québécois de toutes les origines dans toutes les sphères de la société».
Mme Weil exprime ainsi la volonté politique de maintenir le Québec dans une juste voie et confirme cette volonté en citant M. Philippe Couillard. Lors de la cérémonie d’investiture du gouvernement, rappelle-t-elle, le Premier ministre avait ainsi déclaré : « Notre gouvernement croit résolument que la diversité n’est pas une menace mais une richesse. Le Québec grandit chaque fois qu’il accueille les rêves et les espoirs d’une personne venue d’ailleurs. Nous allons continuer de grandir ensemble en affirmant des valeurs communes. »
Volonté politique…
Voilà donc pour cette volonté politique qui semblait faiblir depuis quelques semestres. Mais il n’en demeure pas moins que sur une question aussi prégnante, le gouvernement n’est pas le seul ni le principal acteur.
Nous disons plus haut que la diversité et l’inclusion sont l’objet de politiques dont les diverses « formes peuvent ne pas toujours résulter d’un consensus, mais à tout le moins émaner d’un désensus géré de manière à ce que les intérêts à long terme de l’État et de la société n’aient jamais à en souffrir». Autrement exprimée, cette idée veut dire que si les objectifs sont clairs, les moyens de les atteindre doivent être définis avec la participation de tous les acteurs sociaux.
Là encore, l’entretien que nous a accordé Mme. Weil apporte une réponse rassurante: «Notre gouvernement est à l’écoute. Je suis à l’écoute. À l’hiver 2015 se tiendra une consultation publique sur les niveaux et la composition de l’immigration que nous souhaitons collectivement pour les prochaines années. J’ai décidé d’élargir cette consultation afin d’y traiter les nouvelles dimensions de mon mandat soient les enjeux reliés la diversité et l’inclusion.». Et dans ce processus, ajoute la ministre, «Je crois profondément que les personnes issues de la diversité et les organismes et institutions du milieu sont à même de nous formuler de nombreuses suggestions afin d’améliorer nos programmes et les recentrer sur les besoins les plus importants afin d’avoir une action structurante et efficace. Je compte sur eux pour venir partager leur expérience et leurs idées lors des consultations publiques cet hiver.»
… Et contribution citoyenne
C’est forts de ces propos et dans cette perspective, qu’a l’initiative de notre confrère Maghreb Canada Express, en partenariat avec MTélé et avec le Forum des Compétences Marocaines Résident au Canada, le Groupe Atlas media collabore étroitement à l’organisation d’une rencontre-débat sur la gestion de la diversité (voir page 9) qui apportera son lot d’idées afin de répondre à cette invite et apporter la contribution de cette communauté que d’aucuns voudraient jeter dans un cul-de-basse-fosse, sous forme de suggestions pour favoriser «une multitude de petits et de grands gestes d’ouverture à l’autre dans notre quotidien, là où on travaille, là où on vit» et participer ainsi à relever ce que Philippe Couillard définit comme : « le défi de notre siècle », à savoir la diversité et son inclusion.
Abdelghani Dades (Édito Atlas.Mtl 238)