Au moment où nous mettons sous presse, la campagne électorale législative québécoise 2014 est au tiers de sa durée. Elle bat son plein; et comme les sondeurs se sont tus, rien ne vient biaiser; délibérément ou non, le doute est permis; nos impressions et évaluations des idées défendus par les partis en lice(*).
Et quelles sont donc ces premières impressions?
Des candidatures de qualité
Indiscutablement tout d’abord, on constate une évolution dans la qualité des candidatures. Des personnalités qui il y a peu auraient soigneusement évité de se soumettre au jugement du peuple, figurent en grand nombre sur les listes des candidats des différents partis engagés, de tous les partis engagés, dans la course aux fauteuils parlementaires et aux limousines qui pourraient aller avec.
Bien sûr, certains sont controversés; pour d’autres, les analystes et les adversaires politiques ne manquent de souligner que s’ils ont des compétences et des réputations avérées, cela ne veut pas dire pour autant qu’une fois à l’Assemblée Nationale, l’épreuve des faits et de la réalité pourrait les porter à leur «seuil de Peter», c’est-à-dire à révéler les limites de leurs possibilités à gérer la chose publique et la chose commune et leur incapacité à se transformer de grands experts en politiciens efficaces ou en hommes d’État.
On est cependant là dans les conjectures; des conjectures qui ne parviendront pas à faire oublier le fait que la lente dégradation de la qualité du personnel politique vieille d’un peu plus d’un quart de siècle est sans doute en train d’être freinée et la tendance à la baisse de sa crédibilité de s’inverser. Le taux de participation à la consultation du 7 avril prochain permettra d’ailleurs d’en juger. S’il s’inscrit à la hausse – ce sur quoi nous n’avons aucun doute – cela voudra dire que l’un des motifs expliquant la léthargie civique et le cynisme citoyen résidait bien ici…
Les vraies affaires
Seconde impression, alors que jusqu’à la veille du déclenchement des élections notre crainte était que toute la campagne allait se dérouler sous le signe des débats sur l’identité, avec tout ce qui aurait pu en découler de rétrograde et d’exclusif, les discours des dix premiers jours ont tous porté – y compris les rodomontades de certains candidats colorés – sur les vraies affaires.
Loin de nous, en utilisant ces mots, de privilégier un slogan de campagne au détriment des autres; pas en dehors de l’isoloir en tous cas. Mais force est cependant de constater qu’on parle essentiellement d’économie, d’emploi, de santé, de lutte à l’intimidation; au point que l’identité, les valeurs, la souveraineté, certes présents car il en faut aussi un peu sinon nous ne serions pas au Québec; font figure de «légumes sur le couscous» ou de garniture du plat de viande.
De tout cela il apparaît clairement, ce que nous n’avions pas constaté lors des deux ou trois dernières consultations, que ce sont des projets de sociétés qui sont soumis par les partis aux électeurs. Des projets de sociétés qui peuvent nous parler différemment, nous plaire ou nous déplaire, mais pas nous laisser indifférents.
Le thème absent
Un thème est cependant absent : celui de l’intégration sociale. Ce thème ne concerne pas uniquement, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les seules communautés culturelles; il concerne tous les segments démunis, déshérités ou marginalisés de la population québécoise; handicapés, malades, sans emploi et autres. Et ils sont trop nombreux pour qu’il n’en soit pas fait état dans un moment aussi important qu’une campagne électorale, au surcroît une campagne au cours de laquelle, enfin, on parle futur, devenir, projet de société. Et ils sont trop nombreux pour que des engagements spécifiques manquent dans les discours.
Le vote maghrébin
Pour toutes les raisons citées ci-dessus, chaque vote comptera. Non pour déterminer une majorité ou amener l’un ou l’autre des partis en lice au gouvernement. Mais pour faire entendre la voie du peuple, la voie des communautés. Les communautés les plus discriminées, les québécois originaires du Maghreb entre autres, sont ici particulièrement concernées.
Ainsi dans le cas maghrébin il faut savoir que nous sommes aujourd’hui 300 000 à résider au Québec, dont 150 000 au moins sont habilités à voter. Cette masse démographique critique peut devenir une masse civique critique si tous se rendent aux urnes. Comment? Parce que ces 150 000 votes peuvent faire pencher la balance dans une bonne quinzaine de circonscriptions et faire basculer une majorité d’une part; parce que, d’autre part, chaque vote exprimé rapportant (loi sur le financement des partis politiques) 7 dollars, ils auront ramenés 1 050 000$ dans les caisses, une somme dont ces partis vous seront redevables. Parce que, enfin, le Maghreb étant depuis quelques années déjà, la principale source d’immigration au Québec, ces chiffres sont appelés à croître à chaque nouvelle consultation électorale et que donc, ici réside déjà le poids de notre communauté. C’est là que se cache une des clés pouvant favoriser notre intégration pleine et entière dans cette société où nous avons choisi de vivre mais qui ne nous fera jamais de cadeau, qui ne donnera jamais que ce que nous aurons mérité, notamment par notre engagement, par notre sens de la citoyenneté et notre participation à la vie publique.
(*)Post-scriptum
Il est connu dans le monde économique (mais il n’y aucune raison de penser qu’il en va autrement dans la sphère politique), que la première préoccupation des instituts de sondage, que les sondeurs ont une seule préoccupation : donner aux questions de ceux qui recourent à leurs services les réponses qu’ils attendent ou espèrent. D’où des résultats généralement aussi aléatoires (au sens vrai du mot) que les échantillons de population qu’ils constituent. Ici, en plus de cela, il y a au moins une caractéristique des sondages qui me dérange profondément notamment quand l’affaire porte sur la politique : la catégorie dite du «vote francophone». Disons-le de suite : cette catégorisation n’a rien, mais rien, de linguistique; car, à notre connaissance, Loi 101oblige, le Québec est une province francophone et donc tous les Québécois y compris ceux originaires de l’immigration sont en conséquence (totalement ou d’usage) francophones. De ce fait ce «vote francophone» si largement (et si insidieusement) étalé est l’aveu, par fausse pudeur caché sous une dénomination hypocrite, d’une discrimination. Il est également la signature d’une inacceptable volonté d’exclusion. Elle fait le lit de la division. Elle est en tout cas indigne de ces «scientifiques» que prétendent être les statisticiens, sociologues et autres anthropologues qui se cachent derrière les sondages et les instituts de sondages.
Abdelghani Dades (Edito Atlas.Mtl 225 du 13 au 26 mars 2014)