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Dans un centre d’appel comme si vous y étiez… Allo?, Métro!, Dodo …

Dans un centre d’appel  comme si vous y étiez… Allo?, Métro!, Dodo …Rachid a débarqué à Montréal en plein hiver et il ne s’imaginait pas qu’il allait y survivre. Les montagnes de neiges de cette saison record ont presque eu raison de ce nouvel arrivant dans cette grande ville.

On lui avait dit qu’il allait perdre une oreille à cause du froid intense et que s’il ne s’achetait pas des bottes hivernales, il allait perdre des doigts de pieds. On lui disait aussi qu’il n’allait pas survivre au froid.

Il a pu constater qu’à cette période de l’année, il n’est pas facile de faire la différence entre les hommes et les femmes qui se couvrent de gros manteaux, de tuques et de mitaines.

C’est pourquoi, histoire de ne prendre aucun risque, il s’est emmitouflé pendant toute la saison dans des vêtements qui, à s’y méprendre, lui donnaient l’air d’un ours. Il se disait que si c’est le pays des ours et que ces derniers hibernent pendant l’hiver, cela voulait dire faut bien se couvrir quitte à ressembler à un ours!

Les premiers temps n’ont pas été faciles pour Rachid, d’une part parce qu’il ne connaissait personne, mais surtout à cause de la difficulté à trouver du travail.

Depuis son arrivée dans la métropole, il a enchaîné les petits boulots pour lesquels il n’était pas préparé. De plongeur à préposé en entretien et de bagagiste à déménageur. Des jobs qu’il a du accepté compte tenu de l’urgence du moment et des factures à payer. «À Rome on fait comme les Romains», répétait-il souvent.

Et c’est ainsi qu’il a passé ses premiers mois de l’année jusqu’aux premières chaleurs d’été. Il est fier d’avoir survécu à son premier hiver; et il profite de ce mois de juillet pour sortir de son cocon. «Après tout, si je suis dans une ville, je dois me l’approprier» se disait-il. Les journées sont longues et c’est l’occasion de savourer ces moments d’évasions.

Il profitait ainsi des journées d’été pour faire le tour de la ville et ne ratait aucune occasion pour assister aux festivités. «Heureusement que nombreuses sont gratuites, pensait-il, autrement je passerai à coté du coté festif de la cité».

D’ailleurs, il sortait tous les jours que Dieu faisait pour provoquer son destin. Il se disait que ce n’est pas en restant dans son studio du sous-sol qu’il va changer quoi que ce soit dans sa vie. C’est pourquoi, il s’arrangeait pour prendre le bus et le métro dans l’espoir de faire de belles rencontres qui pourraient le sortir du trou dans lequel il vivait.

Au regard des uns et des autres, il esquissait un sourire et il se disait que ça lui permettrait de se rapprocher des gens, même s’il avait l’impression que le monde se détournait de lui. Parfois, il observait le regard figé des usagers du transport public. Certains regardaient par terre. Les uns avaient l’impression d’être fâchés alors que les autres faisaient mine de ne pas le voir.

Il lui arrivait d’entrevoir des regards évasifs à qui il essayait de répondre sans grand succès. Le sourire de courtoisie des femmes lui donnait l’impression qu’elles avaient envie de lui.

Mais ce qui le perturbait le plus, c’était de constater que presque tout le monde avait des écouteurs greffés aux oreilles et que personne ne parlait plus à personne.

Devait-il adopter cette attitude, lui qui avait du boute-en-train ? Devait-il créer sa propre bulle pour rester loin des autres ? Déjà que sa bulle était vide et qu’en plus il est loin de tout ce qu’il connaissait avant.

Cependant, il s’était convaincu qu’il devait rester lui-même.

Lui qui avait, dans son Maghreb originel  l’habitude de saluer les gens, il était perdu dans le centre ville de Montréal où tout le monde avait l’air d’être pressé. D’ailleurs, devant le défilé incessant des passants, il se demandait à quoi ressemblait la vie de ces personnes. «La blonde qui est habillée en tailleur et qui survole les passants du haut de ses talons aiguilles doit sûrement être une directrice d’une grande entreprise. Le gars qui est fringué en costume cravate doit être un as de la finance et la brune aux cheveux longs doit être une consultante dans les médias».

Bien entendu, Rachid ne pouvait pas savoir que la blonde était hôtesse d’accueil dans un hôtel, que le gars travaillait dans un centre d’appel d’une banque et que la brune était serveuse dans un bar pour financer ses études.

Il observait le monde tout en tenant fermement son téléphone portable qui venait de sonner. On lui avait annoncé qu’il avait été sélectionné pour un travail auquel il avait postulé. Il s’était dit que son portable qu’il venait d’acquérir tombait à propos et lui sauvait la vie. C’était déjà vendredi et l’entretien était pour la semaine qui suivait. «C’est TGIF (Thanks God Its Friday)! Alors autant profiter du week-end».

Le lundi qui suivait était le début de la formation de Rachid dans son nouvel emploi.

Il allait suivre un mois de formation pour devenir agent au service à la clientèle d’un centre d’appel.

Le regard curieux et anxieux du début de sa formation a laissé place à une ambiance plus décontractée ou les jeux de rôle et les présentations avec ses futurs collègues lui ont permis d’être plus à l’aise par la suite. Il a eu une bonne formation et son expérience lui a permis d’être à l’écoute des problèmes techniques de nombreux clients. Les clients étaient toujours satisfaits de son service. Il a résolu les problèmes de facturation de tous ceux qui téléphonaient. Il a pu discuter avec des clients vivants dans des régions isolées et s’est imaginé s’introduire dans leur quotidien à travers les histoires que ceux-ci lui racontaient. Il recevait parfois des propositions de rencontre de la part de quelques clientes et certaines se sont mêmes hasardées à le demander en mariage.

Seulement voila, Rachid a suivi la formation à la lettre. Il a gardé ses distances avec les clients et n’a jamais osé s’aventurer en dehors du téléphone.

Quatre ans plus tard et plus de huit mille appels à son actif, Rachid est cloué à sa chaise de bureau qu’il ne quitte pour rentrer chez lui.

Il parle des heures sous son casque d’écoute, mais ne parle à personne en dehors, car il est épuisé par les appels.

Les clients qui le remercient au téléphone sont peut-être ces mêmes personnes qui l’évitent du regard dans le transport public.

Il porte des écouteurs pour entendre de la musique le long de son trajet.

Il n’a plus le temps de sortir pour assister à des festivals même si ceux-ci sont gratuits.

Aujourd’hui son quotidien c’est : Métro, Boulot, Dodo.

Par Réda Benkoula (Atlas.Mtl)

 

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