Les réactions islamophobes des derniers jours au Québec, tels que la profanation d’une mosquée, congédiement d’une jeune Musulmane portant le hidjab dans le secteur privé où elle travaillait, agression dans un centre commercial envers une famille musulmane vivant au Québec depuis 15 ans, agression verbale d’un homme dans le transport en commun envers une Musulmane font sans l’ombre d’un doute ressurgir les sombres dérives vécues en Europe depuis 10 ans. Maintenant que le projet de charte «des valeurs québécoises» est bien lancé sur la place publique par les «craqueurs d’allumettes dans l’entrepôt de bidons d’essence» que sont les stratèges du Parti Québécois, il ne faut pas se surprendre d’une accumulation d’actes disgracieux tenus à l’endroit de la communauté musulmane québécoise. La banalisation honteuse ou le silence tranquille concernant ces gestes chez les Ministres du Parti Québécois donne une caution morale aux islamophobes qui s’expriment plus ouvertement depuis le virage identitaire de cette formation politique en 2008. Virage tourné vers un nationalisme davantage ethnique que civique qui a causé depuis nombre de défections chez le P.Q au profit de Québec Solidaire. Tout cela conjugué à une démonisation du symbole qu’est le hidjab dans des analyses des plus binaires tenues par d’ex-Ministres du gouvernement du P.Q sur plusieurs tribunes ou des amalgames douteux entre la nourriture halal et l’hygiène provenant du critique du P.Q en matière d’agriculture en 2011 qui ont préparé le terrain de l’islamophobie ces dernières années. Nombre d’auditeurs et lecteurs des médias en général et des médias poubelles et de sites islamophobes en particulier n’en demandaient pas tant. Ils semblent chauffés à bloc. Il suffit de prendre connaissance des tribunes de discussions portant sur les questions de ports de signes religieux où on y amalgame immigration, islam et islamisme, simple hidjab avec la croix gammée (!!!) terrorisme international, révolution islamique d’Iran de 1979 et le danger d’adoption de noms de rues en arabe sur le territoire québécois(!!!)
Aux origines de l’islamophobie
Contrairement à ce qu’affirment les islamophobes actifs au Québec et ailleurs en Europe, l’islamophobie n’est pas une stratégie qui origine de la révolution islamique d’Iran de 1979 pour faire taire les critiques envers l’Islam. Le terme islamophobie remonte aussi loin que le premier conflit mondial et de manière plus élaboré dans l’ouvrage l’Orient vu de l’Occident d’Étienne Didet et Slimane ben Ibrahim paru en 1921. Si les critiques des religions doivent être protégées dans une société libre et démocratique et que le libre exercice de ces critiques doit être garanti tant qu’il demeure dans un cadre légal, l’islamophobie nouvelle ou l’antisémitisme à une autre période ne relèvent plus de la critique légitime du dogme. Cette phobie de l’Islam s’est assimilée avec le temps à ceux et celles qui le représentent, aux symboles vestimentaires qui y sont reliés en y amalgamant la xénophobie, la culture, les origines géographiques de cette religion et le réflexe de supériorité de l’Occident versus le reste du monde. Cette hostilité et haine envers l’Islam qui se traduit aujourd’hui dans nos sociétés occidentales par une expansion considérable, selon le Conseil européen des Droits de l’Homme et des rapports publiés par l’Organisation des Nations Unies a pour conséquences la stigmatisation, l’ostracisme, la discrimination, les préjugés et l’exclusion d’un grand nombre de Musulmans et Musulmanes de la sphère sociale et économique.
La stratégie des activistes anti-islam se cache en premier lieu dans des postures trop souvent malhonnêtes agrémentées de raccourcis, amalgames, association à charge, demie-vérités, stéréotypes, généralisations à outrance, etc dans l’esprit de propagande du choc des civilisations. On entend que «l’Islam est porteur de violence», niant l’Islam pluriel et ses différents courants, dont libéral, «qu’il est expansionniste, qu’il discrimine les femmes. Ce n’est pas les groupes fondamentalistes qui posent problème, mais l’Islam en tant que tel. Donc attention il y a une invasion» (!!!)
Sous l’empire de la peur
Ce qui résulte en deuxième lieu par la création volontaire d’une atmosphère de crainte, d’angoisse, de peur et de suspicion très bien entretenu par les médias en général.
Ce qui a pour conséquences de pousser l’ensemble de la communauté musulmane dans ses derniers retranchements afin qu’elle passe son temps à expliquer ce que l’Islam n’est pas pour qu’ils n’expliquent pas ce que l’Islam est. Finalement elle n’a plus le temps d’expliquer. D’expliquer ce qui distingue l’Islam de l’Islamisme mais que les islamophobes ne veulent pas entendre, trop occupé à brandir le spectre d’une «schizophrénique» islamisation du Québec.
Une décennie d’actes disgracieux
Les actes disgracieux envers cette communauté au Québec se sont multipliés depuis 10 ans selon certaines études publiées dans l’ensemble du Canada et ce sans s’affranchir de la discrimination en matière d’emploi et de logement dont elle est victime.
Le Québec doit briser ce cycle infernal de l’islamophobie avant qu’il ne soit plongé dans les bêtises haineuses provenant de l’Europe. L’intolérance expansionniste québécoise envers cette communauté- les pires résultats en la matière dans l’ensemble du Canada- a été bien illustré dans la vaste enquête internationale Musulmans en Occident rendu public en 2009. Cette enquête devrait servir d’inspiration pour initier une large conférence québécoise sur ce phénomène. Compte tenu que le Parti québécois semble avoir adopté la voie du dogme dans ce processus d’institutionnalisation de l’ostracisme par le biais de leur charte, il apparaît tout autant urgent de remettre à l’ordre du jour les travaux et mémoires déposés à la Commission parlementaire de 2006 portant sur une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination. Des instances internationales comme les Nations Unies en 2004 ont pu tenir une vaste conférence ayant pour thème le phénomène de la violence envers les Musulmans et la recherche de moyens pour combattre l’islamophobie. Une Table ronde de réflexion sur l’islamophobie et l’antisémitisme organisée par la Commission européenne et l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes a également eu lieu en 2003 et a permis aux tribunaux d’avoir des pistes de références en matière d’islamophobie. Avant que les allumettes allumées du gouvernement péquiste atteignent en grand nombre les bidons d’essence placés par Mario Dumont et l’ADQ en 2007, il est temps d’agir pour sauvegarder la paix sociale et le dialogue entre la communauté d’accueil et la communauté québéco-musulmane.
Par Denis Mehdi Duchêne : Politologue, analyste indépendant des questions d’intégration des communautés musulmanes en Occident et auteur de l’Islamophobie au Québec : au cœur du pouvoir politique et médiatique, Assemblée nationale du Québec, 2006