Brandissant deux rapports médicaux américains bien étoffés, l’ex-imam montréalais controversé Saïd Jaziri affirme que le Canada l’a envoyé directement à la torture en l’expulsant vers son pays natal, la Tunisie, à l’automne 2007.
«Le Canada a sous-traité ma torture en Tunisie. C’est aussi simple que ça», lance tout de go, depuis Boumhel, en banlieue de Tunis, l’homme âgé de 44 ans. Ce dernier est rentré en Tunisie il y a un mois, le 24 février, après une année passée dans un établissement de détention «privé » de la Californie. C’est la première fois que l’ancien imam montréalais parle publiquement de la torture que la police tunisienne de l’ex-président Zine Ben Ali lui a fait subir entre 2008 et 2010.
Durant ses démarches judiciaires aux États-Unis, Saïd Jaziri a été ausculté par le médecin George F. Longstreth et a eu une rencontre avec la psychologue Julia Kuck, en juillet 2011.
Lésions sur le corps
Le Dr Longstreth, qui agissait à titre de médecin bénévole pour une association de lutte contre la torture, décrit dans son rapport médical les lésions sur le corps de l’imam tunisien. Il détaille notamment «une blessure génitale assez grave pour qu’il y ait du sang dans l’urine, une blessure au bras qui limite la mobilité des doigts et une blessure à l’épaule qui cause une douleur chronique. La cicatrice à l’avant-bras gauche est typique d’une brûlure de cigarette à cause de son apparence et de sa taille. Les cicatrices à la tête seraient causées par le fait qu’on l’ait cognée contre un mur. Un tel traumatisme peut causer pareilles lacérations».
Contacté par le «Journal de Québec», le docteur américain a ajouté «qu’on ne peut jamais être certain à 100 % que les blessures d’une personne sont dues à la torture. Mais dans ce cas de figure, les preuves sont assez fortes et la description de M. Jaziri concorde avec l’évaluation médicale. Disons que les preuves qu’il a été torturé sont très fortes».
De son côté, la psychologue Julia Kuck a diagnostiqué chez le patient Jaziri «des symptômes d’anxiété, de panique et un trouble de stress post-traumatique ayant suivi des expériences traumatisantes quand il était détenu en Tunisie (…) Désormais, il a des pertes de mémoire et il fait de l’insomnie (…). Il fait des cauchemars dans lesquels des inconnus l’emmènent vers la torture».
Corroborant les dires de M. Jaziri, Mme Kuck recommande un suivi médical.
Trop peur pour parler!
La médiatisation du cas Jaziri au moment de son renvoi lui a procuré une relative protection. Mais ce répit fut de courte durée. «Les six premiers mois, la police me surveillait de près. C’est tout. Mais, après ça, la torture a commencé. Et je ne pouvais même pas en parler, car ça aurait empiré les choses pour moi», a confié l’ancien imam de la mosquée montréalaise Al Qods.
Sans jamais être formellement arrêté ou inculpé, M. Jaziri a été maltraité dans différents postes de police de Tunis.
Il n’a même pas osé relater ces faits à son avocate tunisienne, Radhia Nasaraoui, farouche opposante au régime de l’ex-président Ben Ali. «Quand ils ont su que je suis allé voir Me Nasaraoui pour qu’elle me défende, les policiers m’ont dit : “Es-tu fou? Tu sais bien qu’on peut te tuer juste pour ça!”» rapporte-t-il, encore ébranlé.
Il veut toujours revenir à Montréal
QUÉBEC – «Je ne demande aucun dédommagement matériel au gouvernement canadien. Je veux juste que les personnes responsables de mon expulsion soient jugées et que je puisse revenir à Montréal pour m’occuper de ma famille.»
C’est ce que l’ex-imam montréalais Saïd Jaziri a mentionné au «Journal de Québec» lors de plusieurs entretiens.
Estimant que la décision de le renvoyer était avant tout «politique», il soutient que seule une autre décision «politique» lui permettrait de réintégrer le Canada.
Privé de son enfant, Mohamed, né à Montréal en décembre 2007, M. Jaziri décrit des contacts déchirants avec son fils. «Chaque fois qu’il me parle, il pleure. Le pauvre n’arrête pas de dire: “Je veux papa”», soutient l’imam.
L’hypothèse que l’épouse québécoise de M. Jaziri puisse s’installer en Tunisie est «impossible» (dixit l’imam), car elle doit également s’occuper de ses deux autres enfants issus d’une ancienne union.
«Il y a beaucoup de mosquées à Tunis qui me veulent comme imam, mais je veux être auprès de ma femme et de mon fils», supplie Saïd Jaziri.
Du côté d’Amnistie internationale, la responsable des communications Anne Sainte-Marie a décrié «l’hypocrisie» du Canada, qui a prétendu que la Tunisie de Ben Ali était «un pays sûr». «Nous sommes vraiment désolés que Ben Ali nous ait donné raison, déplore-t-elle. C’est douloureux d’apprendre que Saïd Jaziri a effectivement été torturé.»
Mme Sainte-Marie avance que son organisation trouverait «juste» que M. Jaziri puisse revenir à Montréal. «La ministre de l’Immigration de l’époque, Diane Finley, a attendu que l’opinion publique soit défavorable à M. Jaziri pour l’expulser. C’était une erreur. Maintenant, il faut lui permettre de revenir ici pour des raisons humanitaires», pense-t-elle.
Agence QMI
Taïeb Moalla