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L’homme à la chaussure d’or

Aldo Bensadoun

Il y a 40 ans, le petit-fils d’un cordonnier algérien se lançait dans le commerce de chaussures. Il dirige aujourd’hui, depuis Montréal, la première enseigne de magasins au monde.

Les mots croisés du New York Times ont consacré sa réussite. Pour la définition “roi de la chaussure”, en quatre lettres, une seule réponse : Aldo. Elle désigne la plus grande chaîne de magasins de chaussures au monde. C’est aussi le prénom de son fondateur et propriétaire, Aldo Bensadoun. Ce Français, installé au Canada depuis les années 1960, a bâti un empire de milliardaire en dollars. Avec 1.500 magasins et 15.000 salariés, la marque Aldo est présente dans le monde entier, du Venezuela à l’Ukraine. Il aura fallu attendre l’automne dernier pour l’ouverture de magasins en France. “Le marché français m’intimidait. Il reste la référence dans la mode et la chaussure. S’y installer est tout un symbole”, reconnaît Albert Daniel Michel Bensadoun, que le surnom Aldo ne quitte plus depuis l’adolescence.

Ceux qui espéraient enfin croiser le fringant septuagénaire à la toison blanche lors de l’inauguration de l’une de ses boutiques ont été déçus. Aldo n’a pas quitté Montréal d’où il pilote son groupe. “Les boutiques françaises sont encore trop petites à son goût”, s’amuse l’un de ses collaborateurs. Aldo n’a pourtant ni l’arrogance de certains entrepreneurs à succès, ni l’ambition d’un mégalomane. Sa réussite récompense avant tout les rêves de son père et l’affection de sa mère, convaincue du destin hors du commun de son petit dernier.

Au Maroc où Aldo est né, Émile Bensadoun, son père, tenait déjà des magasins de chaussures, à Fès, Casablanca et Rabat. Le grand-père, natif d’Algérie, était lui-même cordonnier. Aldo a 17 ans quand la famille Bensadoun débarque en France. L’air de la Côte d’Azur, la première destination de ces rapatriés, ne plaît pas au père. Les Bensadoun rejoignent à Saint-Gaudens un oncle réfugié des années plus tôt dans le Sud-Ouest pour échapper aux rafles nazies. “Je me souviens encore de l’odeur de cellulose de l’ancienne fabrique de papier qu’on sentait dans la ville”, confie Aldo qui n’a pas troqué ses intonations pied-noir pour un accent québécois.

Émile Bensadoun croit aux vertus de l’éducation. Il envoie son cadet à Paris, sur les bancs du lycée Henri-IV. Le week-end, l’adolescent retrouve l’une de ses deux sœurs, étudiante dans la capitale. Il décroche une première bourse pour les États-Unis et entame des études d’ingénieur en électricité à Cornell, la fameuse université de l’État de New York. Son frère aîné, André, l’y rejoint pour ne plus quitter le campus où il est aujourd’hui professeur émérite, spécialiste en biochimie. Lors d’un bref séjour au Canada voisin, Aldo tombe amoureux du Québec. Il termine son cursus à Montréal et passe son diplôme à McGill, l’université qui fait rêver les jeunes élites du monde entier.

Rattrapé par son service militaire, il se retrouve à Saumur, à enseigner l’économie aux élèves de l’école de cavalerie. Mais les forêts canadiennes lui manquent. Le mal du pays qu’il s’est choisi lui fait retraverser l’Atlantique. “J’aime le Canada, ce mélange de culture anglaise et française et l’atmosphère qui y règne”, insiste-t-il.

Du luxe accessible

Après quelques années dans l’informatique comme salarié, Aldo se rend à l’évidence. Il a 30 ans, l’âge de devenir son propre patron. L’histoire de sa famille s’est tracée dans la chaussure. Il va en écrire un nouveau chapitre. Aldo identifie vite les clés du marché. Elles lui ouvrent, en vingt ans, les portes de la réussite. La Chine est devenue l’usine du monde. C’est là qu’il doit produire. Les consommatrices veulent du luxe accessible – ses modèles ne dépasseront pas les 100 dollars – elles ont les mêmes envies de Rio à Göteborg. Les magasins Aldo, comme ceux de Zara ou H & M, sont identiques partout dans le monde. Le rythme de la mode s’accélère. Aldo développe un système de gestion qui réduit de 30% le temps de lancement d’un nouveau modèle. L’entrepreneur rêve aussi d’une société différente. « C’était le début des années 1970. Il soufflait un vent spécial, très social, plutôt de gauche. Beaucoup de choses étaient à réinventer dans les rapports sociaux. Moi, je voulais que mon entreprise s’en inspire. »

Aujourd’hui, quarante ans après la création d’Aldo Shoes Inc., son quartier général cultive toujours cette différence. Les 900 salariés occupent des bâtiments ultramodernes équipés de cantines bio, de salles de yoga, de terrains de basket-ball. Des toiles d’art contemporain sélectionnées par Diane, la deuxième femme d’Aldo, de dix-sept ans sa cadette, sont accrochées ici et là. Dans quelques jours, le patron réunira ses directeurs, venus des quatre coins du monde. Entre marge d’exploitation et programme de développement, ils mettront sur pied des programmes citoyens : rénovation d’écoles, de centres d’hébergement. Aldo, classé quinzième fortune du Canada, se retrouve souvent pinceau à la main enrôlé avec ses salariés pour l’une de ses opérations. “Nous avons commencé dès les années 1980 à soutenir des grandes causes. La première a été le sida. Il y avait deux sociétés exemplaires sur le sujet à l’époque : Benetton et nous.”

David, 42 ans et Douglas, 30 ans, les deux fils d’Aldo, savent qu’en reprenant les rênes de l’entreprise, ils ne s’affranchiront pas du credo de leur père. L’aîné préside le réseau des magasins en nom propre. Le cadet est aujourd’hui chargé de la création artistique du chausseur et de ses bataillons de stylistes après s’être essayé au cinéma, comme réalisateur avec un court métrage remarqué au festival de Sundance.

Comme chaque hiver, la famille Bensadoun s’est retrouvée pour les fêtes dans les Caraïbes, à Saint-Martin. Aldo et Diane dans leur villa, le reste de la famille à l’hôtel. Seul David manquait. Il a pris le départ, le 1er janvier, à Mar del Plata (Argentine) du Paris-Dakar dans la catégorie autos. Dimanche prochain, la famille Bensadoun sera à Lima au Pérou pour assister à l’arrivée de la course. Et peut-être la première que boucle un Canadien dans l’histoire de la compétition! “C’est une surprise. David n’est pas au courant”, confie-t-il avec espièglerie.

Sylvie Andreau- lejdd.fr

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