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À Repentigny, certains policiers ne se font pas à la diversité. Lorsque le profilage racial refuse de dire son nom…

À la suite de son quart de travail à l’école L’Horizon, situé dans le quartier Le-Gardeur à Repentigny, l’enseignant François Ducas saute dans sa BMW pour rentrer chez lui. À peine a-t-il quitté l’établissement, qu’il est pris en chasse par une patrouille de police.

La filature s’étend sur 2.5 kms jusqu’au boulevard Brien où deux policières activent le gyrophare et l’interpellent avec une question : «Est-ce que la voiture vous appartient?». M. Ducas, 50 ans, le prend mal et fait savoir aux policières qu’il s’agit là d’un cas de profilage racial et refuse toute collaboration.

Une deuxième voiture arrive en renfort et l’enseignant est arrêté ce jour-là, 8 décembre 2017, puis conduit au poste de police. C’était la quatrième fois que M. Ducas était arrêté à Repentigny. Pire, certains de ses élèves ont déjà assisté à la scène.

«J’allais voir une de mes élèves qui travaillait en face de l’école, se souvient-il, ce matin-là les deux bras derrière le dos, menottes aux poignets. Ils m’ont insulté et cela m’a rendu furieux», dit-il en pinçant les lèvres et en grinçant les dents.

« L’élève m’a interrogé sur ce qui s’est passé et je lui ai répondu que la police ne comprend pas qu’un Noir puisse rouler en BMW.»

C’est sur la rue Brien à l’endroit même où il s’est fait arrêter de manière spectaculaire que nous les avons rencontrés, lui et sa femme, la Dre Karine Chevrette. Elle est médecin à l’urgence de l’hôpital Pierre-Le-Gardeur et s’occupe des soins intensifs également dans Lanaudière.

Au volant d’une voiture de l’année, on retrouve Mme Chevrette comme dans 99% du temps lorsqu’ils sortent en couple. « Je ne me suis jamais fait arrêter alors que je conduis d’autres genres de véhicules que lui, dit-elle, il ne prend jamais mes autos, car, il sait qu’il va se faire arrêter la première journée »

Au regard de ce que vit son père tous les jours, l’aîné des Ducas, 16 ans, refusait récemment d’aller apprendre à conduire en vue d’obtenir un permis. Il a fallu que la mère insiste.

«Il voit bien ce qui arrive à son père. Il sait que c’est ce qui va lui arriver aussi. Il n’a pas le teint blanc. Les enfants arabes se font arrêter beaucoup et comme toutes les communautés autres que blanches.» croit Karine Chrevrette.

Ceux qui ont choisi de s’exiler…

Pour sa part, Stanley Jossirain, 22 ans, se fait arrêter, «harceler, insulter», dit-il, par les policiers de Repentigny depuis l’âge de 18 ans. Il affirme que certains policiers viennent même devant chez lui pour lui faire des grimaces.

Comme pour François Ducas, il se fait dposer les mêmes questions à propos d’une Nissan Altima 2010 lorsqu’il roule. Et même plus: « Ils me demandent souvent : combien je l’ai payée, combien de kilométrage y-a-t-il dessus?»

La dernière fois qu’il s’est fait arrêter, la patrouille lui a collé une contravention pour «flanage», alors qu’il attendait en voiture son cousin qui commandait un café à l’intérieur d’un commerce de Repentigny. Et ce fut brutal avec des menottes très serrées et trop longtemps.

«25 minutes plus tard on m’a enlevé mes menottes. Mes poignets étaient enflés. J’avais des blessures au niveau du bassin, du dos et des genoux. Quand on m’a mis à terre, les policiers ont embarqué sur moi.», raconte Stanley Jossirain.

L’homme de 22 ans qui dit souffrir d’insomnie et d’anxiété voit régulièrement une travailleuse sociale et est suivi par une clinique de santé mentale afin de l’aider à se remettre en selle. Depuis que deux policiers lui ont mis en joug en pleine rue alors qu’il prenait une marche avec un de ses cousins, la scène tourne en boucle dans sa tête, dit-il.

Stanley Jossirain qui voulait devenir ambulancier, a dû suspendre ses cours au CEGEP L’Assomption en raison d’un manque de concentration dû à ses démêlés avec la police de Repentigny depuis quatre ans.

Sa mère, Monique Pierre-Louis, a quitté Repentigny pour Toronto avec ses sept enfants dont Stanley afin, dit-elle, de sauver la vie d’un de ses fils qui avait 15 ans à l’époque.

«Les policiers l’ont arrêté dans la rue, ont pris son téléphone cellulaire pour fouiller dedans, lui ont demandé ses papiers. Et parce qu’il ne les avait pas sur lui, il lui ont passé les menottes, mis dans la voiture de patrouille et ont débarqué chez moi pour vérifier ses documents », rapporte la résidante de Toronto.

« L’enfant de 15 ans ne comprenait pas et il a eu au moins trois tentatives de suicide »-Monique Pierre-Louis. Mais, après un an passé à Toronto, Stanley Jossirain décide de revenir dans son patelin, Repentigny.

La police nie…

« Action prise pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public par une ou des personnes en situation d’autorité. Cette action vise une personne ou un groupe de personnes selon des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion. L’action, posée sans motif réel ou soupçon raisonnable, expose la personne visée à un examen ou à un traitement différentiel. »- définition officielle du profilage

Marlène Girard directrice des communications à la Ville de Repentigny a rappelé, en entrevue avec les media, que le profilage racial « comme tout autre, que ce soit social, n’est pas accepté » sur son territoire et qu’il n’y en «jamais eu».

Elle a ajouté que la Ville applique une politique tolérance zéro par rapport à cette question et que les policiers sont formés à cet effet.

Des plaintes mais pas de suites…

Pour sa part le Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR) affirme que tout le monde est traité de façon égale sur le territoire. Daniel Archibald, directeur adjoint du SPVR, insiste sur le fait qu’aucun policier de son service n’ait été condamné en lien avec le profilage racial.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lui, a déjà été condamné. En mars dernier, le SPVM a écopé d’une peine pour profilage après l’arrestation d’un jeune automobiliste noir à Montréal-Nord en 2011. Le corps de police et les deux agents impliqués devaient lui verser 14 000 $ pour le dédommager.

« Il peut y avoir de plaintes, mais jamais un policier de Repentigny n’a été condamné pour profilage.» affirme le chef adjoint du SPVR.

Recours aux Droits de la personne

La femme de François Ducas, la Dre Karine Chrevrette, a voulu, quant à elle, avoir plus de précisions sur la question. Elle affirme avoir demandé à la Ville qu’elle lui sorte des statistiques et qu’elle démontre qu’au prorata des habitants (communautés visibles versus blanche) que les arrestations se faisaient au même pourcentage.

« Jamais ils n’ont voulu me les sortir, dénonce la Dre Chrevrette, ils disent ah non… on peut pas… on n’a pas ses chiffres-là etc… »

Le couple Ducas a eu plusieurs rencontres avec le SPVR depuis les derniers évènements en vue de travailler sur la question du profilage, un terme que le chef adjoint semble éviter d’utiliser selon François Ducas : « Jamais il n’a parlé de profilage, dit-il. Sauf un enquêteur des services internes, Sylvain Grenier, qui m’a dit lors de la deuxième réunion que ce qui m’est arrivé c’est du profilage.».

Outre à la déontologie, la famille Ducas a porté plainte également à la Ville ainsi qu’aux Droits de la personne depuis le début de l’année.

À date, aucun suivi n’a été effectué déplore la famille Ducas. «Ils m’ont dit que cela risque d’être long».

 

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