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Il y a 75 ans… L’internement des Canadiens d’origine japonaise

Il y a 75 ans… L’internement des Canadiens d'origine japonaiseLe 26 février 1942, le ministre de la Défense nationale du Canada déclarait tous les Japonais « ennemis étrangers » et exigeait leur évacuation à au moins 160 kilomètres de la côte ouest canadienne. Soixante-quinze ans plus tard, peu nombreux sont les survivants qui peuvent encore transmettre cette page d’histoire à la nouvelle génération.

Une page d’histoire dont personne                                                                                                                          ne souhaite parler

Les deux grands-pères de Troy Kimura, enseignant dans une école de Coquitlam, en banlieue de Vancouver, ont tout perdu durant la Deuxième Guerre mondiale. Le premier était né au Japon, l’autre au Canada, et leurs familles pratiquaient la pêche de subsistance le long des côtes du nord de la Colombie-Britannique.

Lorsque la Loi sur les mesures de Guerre a été décrétée pour déplacer les Japonais et les Canadiens d’origine japonaise dans des camps d’internement, à la suite de l’attaque des Japonais contre la base américaine de Pearl Harbor en 1941, ils ont dû quitter la côte pour se retrouver à Kamloops, dans l’intérieur de la province.

Mais de cet épisode de l’histoire familiale, ils ont peu parlé.

«On ne m’a pas beaucoup raconté. Dans ma famille, peu voulaient donner des détails sur ce qui s’est passé. On parle peu de ces histoires-là dans la communauté japonaise, note le jeune homme. Peut-être qu’on préfère célébrer le beau temps plutôt que de parler du mauvais temps.»

Pendant longtemps, les survivants se sont tus sur cette page sombre de l’histoire canadienne. L’historien Greg Robinson a observé ce mutisme dans ses recherches sur le traitement des Japonais en sol nord-américain durant la Deuxième Guerre mondiale.

«C’est sûr qu’il y avait énormément de honte et le silence reflétait cette honte. Ils avaient été convaincus que c’était leur propre faute et que personne ne s’y intéressait. Ils ne voulaient pas transmettre le fardeau de cette histoire à leurs enfants» déclare Greg Robinson, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal

Une discrimination basée sur la race

Dès les premières années de la Deuxième Guerre mondiale, le Canada ouvre des camps où seront internés des soldats allemands, des Juifs, des communistes, mais surtout des immigrants japonais, italiens, allemands et autrichiens.

Mais contrairement aux Italiens, aux Allemands et aux Autrichiens, pour la plupart des citoyens étrangers, la vaste majorité des 22 000 Japonais internés étaient citoyens canadiens. Certaines familles étaient même établies depuis le XIXe siècle.

À la suite de la déclaration du 26 février 1942, les habitants d’origine japonaise de Colombie-Britannique sont d’abord dirigés vers un camp temporaire installé sur les terrains du parc Hastings de Vancouver, puis déplacés vers des camps de détention à l’intérieur de la province, en Alberta et au Manitoba.

Mal logés, mal habillés et mal nourris, ils vivent dans des conditions difficiles. Les familles sont logées soit dans des immeubles abandonnés, occupant chacune quelques mètres carrés, ou dans des cabanes au toit recouvert de toiles goudronnées.

« C’était une restriction aléatoire des droits fondamentaux des citoyens. Si ça avait été juste des étrangers, ça aurait été affreux, mais ça n’aurait pas marqué la démocratie d’une telle façon, souligne Greg Robinson. C’était leur héritage racial, leur religion qui étaient ciblés par une majorité hostile, tout ça sous la supervision du gouvernement. »

Les Canadiens d’origine japonaise ont aussi été les seuls dont les biens étaient confisqués. Rapidement, le gouvernement canadien met en vente tout ce qui leur appartient – bateaux de pêche, fermes, maisons, magasins, etc. – souvent à un prix dérisoire.

Pire encore, estime l’historien, les fonds tirés de la vente des biens saisis serviront à payer la construction des camps d’internement.

Canada : pire que les États-Unis!

Si l’internement de Japonais a aussi eu lieu aux États-Unis, la situation était pire au Canada.

Au sud de la frontière, les Japonais qui avaient la citoyenneté américaine ont été libérés peu après à la suite d’un jugement de la Cour suprême du pays. Les mesures ont pris fin après la guerre.

Au Canada, les mesures discriminatoires ont continué jusqu’en 1949. Après la guerre, le gouvernement a obligé les Canadiens d’origine japonaise à se déplacer vers l’est du pays sous peine d’être déportés dans un Japon ravagé.

En 1949, le Canada permet finalement à ceux qui ont choisi l’exil de revenir au pays s’ils ont un répondant. Cette même année, les Canadiens d’origine japonaise retrouvent leurs droits de citoyen, dont le droit de vote.

Après la guerre, une majorité préfère toutefois s’établir au Québec, particulièrement à Montréal.

« Dans les camps, des religieuses et des prêtres catholiques francophones les ont aidés en ouvrant des écoles. Après, on a invité les Canadiens japonais à se réinstaller à Montréal, ce qui a contribué au fait que Montréal a la plus grande communauté japonaise francophone, même de nos jours. » – Greg Robinson, historien à l’UQAM

C’est le choix que font aussi les grands-parents de Donald Watanabe, qui vit aujourd’hui à Montréal. Ses deux grands-pères ainsi que son oncle, après être sortis des camps, se sont installés au Québec.

« Comme nous sommes tous les deux des minorités, on vit dans une situation très spéciale, je pense que les Québécois ont su et connu la situation que les Japonais ont connue à ce moment-là. Ils étaient donc plus accueillants », croit-il.

Des excuses tardives

Le gouvernement canadien attendra jusqu’à 1988 pour présenter des excuses officielles aux survivants des camps d’internement. Il offrira 240 millions de dollars en réparation à la communauté japonaise.

Pour la tante de Troy Kimura, qui avait vécu cette période, c’était une libération. « Ses parents étaient déjà décédés à ce moment, elle était la plus âgée et la porte-parole de la famille, se souvient-il. J’ai vu comment ce pardon l’a affectée, comment c’était important pour elle. »

Vingt-quatre ans après les excuses du gouvernement canadien, la Colombie-Britannique a aussi présenté ses excuses, en 2012. Un an plus tard, elle était suivie du conseil municipal de Vancouver, « pour sa complicité, son inaction de même que d’avoir failli à protéger ses résidents d’origine japonaise ».

Pour Greg Robinson, les blessures persistent toujours aujourd’hui, malgré la résilience des Canadiens d’origine japonaise.

« Ça a bloqué l’effort de guerre du gouvernement canadien, ça a représenté une fissure dans la société canadienne. Si les Canadiens japonais se sont refait une vie et ont contribué à bien des égards au Canada multiculturel, dit-il, le Canada s’est infligé une blessure inutile en agissant contre ses propres citoyens. »

Une mémoire à conserver

Pour les petits-enfants de ceux qui ont vécu les camps, le devoir de mémoire devient aujourd’hui plus important que jamais, à la lumière de l’élection de Donald Trump et de son décret visant les citoyens de sept pays musulmans.

Donald Watanabe travaille maintenant à recréer une association des Canadiens japonais pour souligner leur apport à la société québécoise. Si son oncle et ses deux grands-pères ne sont plus là pour partager leur histoire, celle-ci survit à travers des souvenirs de cette période. En vidant la maison de sa tante, récemment, Donald Watanabe a retrouvé des photos de cette époque dans de vieilles boîtes.

« Pour la première fois, j’ai vu mon oncle et mon grand-père dans les camps, dit-il. Pour moi c’est précieux, c’est quelque chose que je garderai avec moi pour le reste de ma vie. »

 

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