0

À propos d’«Apartheid territorial, social et ethnique»…

À propos d’«Apartheid territorial, social et ethnique»…Soixante-dix plus tard, on redécouvrait cette semaine toute l’horreur des camps de concentration et des camps d’extermination mis en place par le régime nazi et qui ont alourdit, sans possibilité de se défendre pour les victimes, le très lourd bilan en pertes humaines de la seconde guerre mondiale.

Les images insupportables et les témoignages poignants diffusés ou rediffusés à cette occasion ont permis un triste constat : l’humanité n’a tiré aucune leçon de cette suprême ignominie puisque depuis sept décennies, elle n’a jamais cessé de laisser s’exprimer ce qu’il y a de pire en elle, la haine et la violence.

Des déchirements sanglants de l’ex-Yougoslavie aux atrocités commises par Boko haram au Nigéria et au Cameroun, en passant par le génocide rwandais, les drames syriens et libyens, la guerre sans nom du Moyen Orient et bien d’autres exemples encore; les armes et le sang, la douleur et la mort sont les plus constants compagnons de nos quotidiens.

Par delà ces manifestations extrêmes, particulièrement affectionnées par nos média pour ce qu’elles fournissent d’images morbides propices aux records d’audimat, d’autres violences, moins «vendeuses» sans doute, se développent et se perfectionnent dans l’indifférence, ou dans le déni, ou dans le mensonge parfois institutionnel.

Il en va ainsi de ce que le philosophe français Michel Honfray, certainement peu suspect de sympathie à l’endroit de l’islam (ou de qui que ce soit d’ailleurs!) qualifie de «guerre islamophobe menée par l’Occident contre les pays musulmans» et dont on ne sait pas trop mesurer les effets ailleurs que là ou pleuvent les bombes. Il en va ainsi, surtout, dans la vie de tous les jours, dans la vie de toutes les sociétés, dans un monde que les bien-pensants refusent de voir et dont ils se refusent d’avouer l’existence; dans les gestes et les actes d’exclusion impunément commis par des citoyens ordinaires contre d’autres citoyens, coupables de faciès ou de différences, qui privent de logement, qui privent d’emploi, qui privent de dignité, qui condamnent des humains de droit et de dignité, qui relèguent dans des ghettos où le moins faible et les moins nantis briment plus faible et moins nanti qu’eux-mêmes, où s’accumulent les frustrations et où mijotent les colères,  où fermentent les révoltes et d’où sortent, parfois, des violences atroces. Il est utile de relever que les symptômes de cette maladie du mal-vivre ensemble sont apparus il y a de cela une soixantaine d’années, c’est-à-dire au moment où les flux migratoires sensés donner à la France la main d’œuvre nécessaire à son développement, se sont peuplés de gens culturellement et confessionnellement différents …

Entre apartheid et déterminisme…

C’est de ce monde là qu’évoquait le Premier ministre français Manuel Valls lorsqu’il a parlé d’«apartheid territorial, social et ethnique». Le jugement, évidemment, a été vite et véhémentement décrié. Il n’a cependant pas été remis en question, y compris par le président de la République, François Hollande, qui dès le lendemain éprouvait néanmoins le besoin de tempérer le propos de M. Valls en parlant de «déterminisme territorial, social et ethnique». Mais non sans souligner la nécessité d’agir, vite, fort et en profondeur, pour freiner et si possible stopper le retour à la vie du nihilisme favorisé par l’exclusion – née d’apartheid ou de déterminisme; mais qu’importe? – qu’on ne peut plus cantonner dans les ghettos sécrétés par les errements politiques de nombreux gouvernements de la République.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de nihilisme. Au départ, cette doctrine apparue en Russie au XIXème, était basée sur le refus de toute contrainte sociale et sur la transgression de toutes les convenances, un mouvement hippie avant la lettre en somme.  Sous toutes formes de justification depuis, elle devenue expression de rage et volonté de destruction de tout ce qui ressemble à une norme sociétale, de toute valeur dont on s’estime privé : argent, liberté, dignité ou respect y compris le respect de la vie, de sa vie ou de la vie des autres.

La France l’a bien compris. Elle cherche aujourd’hui, certes d’une part à rétablir la sécurité sur le territoire du pays, mais aussi et surtout d’autre part, à réunir dans l’immédiat et dans le long terme les conditions propices pour guérir son âme et celle de ses banlieues. Car il est certes utile de mettre en place une politique sécuritaire; mais cela ne garantira jamais le risque Zéro. Il faut donc rendre le nihilisme et l’appel du néant sur lequel il débouche moins attrayants.

Sous diverses formes et questionnements, les remises en causes sont ainsi nombreuses. Dans des débats, il est vrai, pas toujours sereins ni bien menés. Mais, enfin, à quelques exceptions près, on questionne un certain nombre de certitudes et on pose les bonnes questions : Comment (re)faire une communauté nationale inclusive, offrant à chacun un même accès aux opportunités économiques, un même droit au respect et à la dignité; notamment par le biais de l’école et par le biais de l’emploi, dans une citoyenneté également comprise et conférant des droits indifférenciés, dans la liberté et l’égalité, dans la solidarité sinon dans la fraternité.

Village gaulois?… 

La France a donc bel et bien compris quel mal la rongeait, un mal né de frustrations accumulées pendant environ soixante ans, touchant au moins trois générations, propagé non par des exclusions systémiques mais de gestes de proximité, d’attitudes de voisins, de locateurs ou d’employeurs apeurés par la différence. La France a donc réagi; la réaction répond, même si rien ne garantit que la démarche entreprise sera couronnée de succès, à l’inquiétude que nous exprimions dans notre dernier éditorial, sur la capacité du pays, une fois l’émotion déclenchée par les drames parisiens du mois de janvier2015, à canaliser toute l’énergie libérée, à la positiver pour faire en sorte que le souvenir du drame devienne force et moteur de changement, dans l’unité, dans la foi en l’avenir.  Cette leçon française, si l’on s’extrait du sanglant contexte dans lequel elle a été dispensée, peut être utilisée avec profit. Ici notamment.

On se fonde trop souvent encore sur le fait que l’immigration en France et l’immigration au Québec sont différentes de nature, que l’immigration choisie pratiquée par le Québec ramène des nouveaux arrivants plus éduquées et plus qualifiées que le modèle choisi par la France et qui augmenterait la population de l’Hexagone seulement de profils faibles, voués à pauvreté et à la marginalité.

Dans la réalité, études Statistiques Canada à l’appui, cet avantage comparatif s’érode avec le temps.

On constate ainsi que dans un délai de dix après leur installation au pays, les nouveaux arrivants sont moins médicalisés que dans leur pays d’origine; on constate également que leur niveau de vie est également moindre. Autre réalité : s’il n’existe pas à proprement parler de «quartiers ethniques» à Montréal par exemple, il est cependant de plus en plus patent que les quartiers à fortes concentrations de populations immigrantes sont généralement des ilots de pauvreté et, enfin, que sur trois cohortes, les enfants des primo-arrivants sont considérablement moins diplômés que leurs parents et que même lorsqu’ils ont fait des études, ils éprouvent les mêmes difficultés que leurs ascendants à accéder à un emploi de qualité.

Circonstance aggravante : ces faits affectent des flux migratoires, en termes d’origines géographique et culturelle, semblables depuis une trentaine d’année, à ceux qui ont démographiquement enrichit la population française au cours du dernier demi-siècle.

Serions-nous en train de reproduire le schéma des ratés français et d’ouvrir la voie à l’accumulation de frustrations potentiellement explosives?

Sans doute un peu; mais avec la chance de pouvoir faire de la prévention. Ceci si toutefois les nouveaux croisés de la suprématie d’un segment de population sur les autres se taisent; ou mieux : au lieu de mener un nécessaire débat de société vers les marécages de l’identité et de la religion, qu’ils abordent les faits objectifs (dont certains énumérés plus haut), qu’ils réfléchissent et mettent leurs talents oratoires au service de la recherche des voies et moyens de consolidation d’un vivre ensemble québécois digne des idéateurs de la Révolution tranquille, ouvert sur un avenir qui nous consolera de notre douloureux présent. Pour notre part, c’est dans cette voie que nous allons; notamment en publiant dans les pages qui suivent, un certain nombre de réflexions dont nous ne partageons pas forcément le contenu, mais qui peuvent contribuer à une réflexion qui s’impose.

Abdelghani Dades (Édito Atlas.Mtl 246 du 29-01 au 110-02-15)

 

Rubriques : Édito Mots-clés : , , , ,
© 2002 - 2017 Atlas Media. Tous droits réservés.
Propulsé par Noordev Technologies inc