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L’héritage littéraire de feu Driss Chraibi, “le sage révolté”, ressuscité à Montréal

Feu Driss Chraibi

Feu Driss Chraibi

L’héritage littéraire du grand romancier marocain, feu Driss Chraibi, a été revisité mardi soir à Montréal lors d’une rencontre organisée à Dar Al Maghrib, en présence de plusieurs personnalités et admirateurs du chef d’oeuvre “chraibien”.

Initiée par le Regroupement des auteurs canado-marocains (RACMA), sous le thème “Driss Chraibi, le sage révolté”, la rencontre a été l’occasion de déguster la splendeur de quelques œuvres phares du riche répertoire littéraire de l’écrivain, notamment “le Passé simple”, “les Boucs”, “Mort au Canada” et “Le monde à côté”.
Lors de cette soirée littéraire animée par MM. Kamal Benkirane, Majid Blal, Mostafa Benfarès et Fayrouz Fawzi, membres du RACMA, les conférenciers ont salué le parcours éminent de ce grand écrivain considéré par ses confrères comme étant le précurseur du roman maghrébin d’expression française, mettant en exergue les particularités et spécificités de l’écriture chez Chraïbi notamment ses phrases courtes et rythmées et ses personnages dynamiques.
Ils ont souligné que feu Chraibi fut et reste l’un des pionniers de la littérature maghrébine écrite en langue française et l’un des fondateurs du roman maghrébin, ajoutant qu’il était un cas à part dans la littérature maghrébine, puisqu’il a toujours à l’avant garde de son époque et critiqué à cause de la vérité authentique et de la dure réalité que transmettait son écriture.
Selon eux, l’ensemble de l’oeuvre littéraire léguée par le défunt écrivain constitue une pierre apportée à l’édifice de la littérature marocaine et maghrébine d’expression française, ajoutant que Chraïbi, décrié au début de sa carrière par les intellectuels marocains pour ses prises de position extrêmes, a été l’auteur d’une oeuvre aussi dense que variée et le dépositaire d’une plume très engagée qui a été vivement critiquée au Maroc avant d’être reconnue plus tard.
Ils ont fait remarquer que l’œuvre «chraibienne» représente une sorte de refus systématique des traditions dominantes, de l’immobilisme et de l’archaïsme de la société marocaine, ajoutant que chacun de ses livres et récits portait un regard très critique sur une partie de cette société et manifestait de la révolte face aux us et coutumes et au conformisme.
Ils ont affirmé que Driss Chraibi a été un romancier de talent, qui a eu un grand impact sur la société marocaine et fut le parfait écrivain qui, face à l’impuissance de son enfance, a pris sa revanche grâce à l’écriture. Et de soutenir que feu Chraïbi a toujours réussi à placer son écriture sous le signe de la contestation et du refus de l’ordre préétabli.
Ainsi, lors de sa parution, son premier roman «Le Passé sim­ple» (1954) a engendré un vent de polémique et fait l’objet d’une levée de boucliers au Maroc qui luttait à cette époque pour le recouvrement de son indépendance et la libération du joug du colonialisme et ce, après avoir vilipendé la société marocaine traditionnelle et le conservatisme social.
Ce livre précurseur de la littérature marocaine en langue française avec un ton fracassant et vindicatif d’une société marocaine paralysée par les traditions et le colonialisme, a été un pamphlet, voire une révolte interne contre une société sclérosée où Chraibi vivait avant de partir en France, ont-ils poursuivi, relevant que ce roman qui a été le plus représentatif de son époque est apparu comme une sorte de rébellion contre toutes les formes d’aliénation et d’hypocrisie dans la société bourgeoise marocaine des années de la fin du protectorat français, l’insupportable oppression de l’autocratie paternelle et le pouvoir totalitaire du «Père-Seigneur ».
Dans cet élan de révolte et de contestation, son deuxième roman «Les Boucs» (1955), poursuit ce vent de dénonciation en décrivant la situation des travailleurs nord-africains en France qui vivaient dans des conditions infâmes. Dans ce livre, précisent-ils, Chraibi s’est acharné à dénoncer les conditions de vie inhumaines et précaires de ces immigrants maghrébins et leur destinée tragique, leur déracinement et le racisme dont ils ont été victimes dans le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Il s’agissait, selon eux, d’une dénonciation au vitriol du sort de ces immigrés victimes des pires humiliations à travers une écriture marquée par une violence extrême et un champ lexical des plus dépréciatifs.
Dans le monde à côté (2001),  deuxième volet des mémoires de Chraibi après «Lu, vu, entendu », l’auteur a dévoilé sa vie personnelle et celle d’écrivain révolté par son style d’écriture autobiographique basée sur une profonde réflexion sur son passé.
A cet égard, les conférenciers ont fait observer que dans chaque roman de Chraibi, la révolte n’est jamais redondante car on assiste toujours à un style, un temps, un espace et un monde totalement différent l’un de l’autre, ajoutant que malgré son exil migratoire, le passé de Chraibi, considéré comme un écrivain-monde, a toujours constitué pour lui un réservoir de souvenirs.
Quant au roman « Mort au Canada » (1975), il a constitué une sorte de révolte puisqu’il déplace le domaine d’écriture du Maghreb vers un Autre ailleurs, en l’occurrence le Canada, pour raconter la vie d’un couple qui évolue de l’amour fou à la séparation violente, témoignant ainsi de son refus de l’idée de s’enfermer pour écrire dans un seul cadre régional ou entre les deux rives de la Méditerranée.
En fuyant le champ strictement maghrébin, l’écrivain a cherché à échapper à toute réduction qui le confinerait dans un espace et lieu bien déterminés et limiterait la portée de sa création littéraire.
Cette rencontre qui s’est déroulée en présence de plusieurs intellectuels et passionnés de l’œuvre de feu Driss Chraibi, a été agrémenté par un témoignage livré par Taoufik Chraibi, l’un des neveux du défunt dans lequel il s’est attardé sur la quelques étapes de la vie personnelle et du parcours littéraire du défunt.
Né le 15 juillet 1926 à El Jadida et élevé à Casablanca, Driss Chraïbi est parti à Paris en 1945 pour étudier la chimie, avant de se convertir à la littérature et au journalisme. Il était aussi un homme de radio durant une trentaine d’années. Il animait des émissions (ORTF, RTF, France culture), léguant ainsi une oeuvre radiophonique immense. Il enseignait aussi la littérature maghrébine à l’Université Laval à Québec.
Il est l’auteur de plusieurs œuvres, dont son roman fétiche «Le Passé simple», «Les Boucs», «L’Ane» (1956), «De tous les horizons» (1958), «La Foule» (1961), «Succession ouverte» (1962), «Un Ami viendra vous voir» (1967), « La civilisation, ma Mère !» (1972), «Mort au Canada» (1975), «Une enquête au pays» (1981), «La Mère du printemps» (1982), «Naissance à l’aube» (1986), «L’Inspecteur Ali» (1991), «Les aventures de l’âne Khâl» (1992), «Une place au soleil» (1993), «L’Homme du livre» (1995), «L’Inspecteur Ali à Trinity College» (1995), «L’Inspecteur Ali et la CIA» (1996), «Vu, Lu, Entendu» (1998), «Le Monde à côté» (2001) et «L’homme qui venait du passé» (2004).
Chraïbi, qui a reçu de nombreux prix littéraires dont celui de l’Afrique Méditerranéenne pour l’ensemble de son oeuvre en 1973, le prix de l’amitié franco-arabe en 1981, s’est éteint à l’âge de 80 ans, le 1er avril 2007 dans la Drôme(sud-est de la France) où il résidait depuis 1988.
Il repose désormais à Casablanca, au Cimetière des Chouhada, à côté de son père comme il le souhaitait.
MAP
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