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Parlons de laïcité!

Parlons-de-laïcité!Et ça recommence! Le débat sur la laïcité, les accommodements religieux, raisonnables pour certains, irraisonnables pour d’autres est relancé au sein de la société. Charte de laïcité ou celle des valeurs québécoises, qu’importe l’appellation si le but-même n’en est pas encore clairement défini. Est-ce pour déterminer des balises à la liberté de conscience? Est-ce pour limiter la pratique d’accommodements raisonnables? Est-ce pour calmer l’inquiétude d’une partie de la population quant à la culture nationale québécoise? Nul ne le sait et jusqu’à plus ample informé, l’opinion publique baigne dans la confusion et l’incohérence des discours en matière de laïcité. Le gouvernement péquiste a-t-il voulu tester l’opinion publique en révélant son intention d’interdire le port des symboles religieux par les fonctionnaires de l’ensemble des institutions publiques, des tribunaux aux écoles, passant par les hôpitaux et ce, avant la publication officielle du contenu du projet de la dite charte promise le printemps dernier?

Toujours est-il que la nouvelle faisant la Une des médias nationaux ces derniers jours a provoqué tous types de réactions auprès des citoyens et des partis politiques. Certains y retrouvent le modèle tant rêvé de la société québécoise, d’autres comme le PLQ la jugent  ”radicale”, la CAQ par exemple se situe entre les visions gouvernementale et libérale. De son côté, Charles Taylor, coprésident de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, n’a pas tardé à s’insurger contre la proposition d’une pratique semblable à ”ce qu’on verrait dans la Russie de Vladimir Poutine”.

Pour l’heure et tant que le contenu de la dite charte n’est pas encore rendu public, aucune analyse ou critique objective ne serait raisonnable. Il est toutefois important, et c’est l’objet de cet article, de se pencher le concept de laïcité.

Le concept de laïcité

Ce que j’en pense? En quatre mots : confusion, contradiction, exclusion, illusion!

Confusion…

L’interculturalisme, comme modèle québécois de gestion de l’immigration et du pluralisme ethnoculturel, favorise une vision ouverte et inclusive de la laïcité. Ainsi, les institutions publiques sont laïques, les individus, eux, libres! Laïciser l’État consisterait ainsi à assurer la neutralité et l’impartialité de ses positions et décisions face à toutes les formes de croyance des citoyens.

Ceci dit, afficher des signes religieux ne compromet aucunement la dite séparation institutionnelle du religieux et de l’État, c’est de l’ordre de la liberté de conscience, l’un des principes du modèle de la laïcité que propose l’interculturalisme, selon ce que j’ai retenu de ma rencontre avec M. Gérard Bouchard, coprésident de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. Dès lors, laïciser les individus en intervenant illégitimement dans l’expression de leur croyance reviendrait à les déshumaniser.

De plus, il serait simpliste de croire que la neutralité et l’impartialité d’une personne lors de l’exercice de sa fonction sera assuré en l’obligeant d’enlever tout signe religieux; ceci est plutôt de l’ordre des valeurs et principes que lui enseigne cette même religion. Je crois en conséquence que ce qu’une société ou un employeur devraient craindre, ce sont les personnes qui délaisseront facilement leurs principes en acceptant d’enlever leurs signes religieux, car si tel est le cas, s’ils ne donnent aucune importance au plus haut cadre de valeurs qui les guide, ils n’en donneront pas plus à celui de l’entreprise pour laquelle ils travaillent ou de la société dans laquelle ils vivent.

Contradiction…

Je ne suis pas juriste, mais le commun des mortels minimalement alphabétisé et conscient réalisera que l’interdiction du port de symboles religieux irait à l’encontre de  plusieurs articles des chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, dont celle de la religion, de la pratiquer et de l’afficher :

* Article 3 du chapitre 1 sur les droits et libertés fondamentaux de la charte québécoise des droits et libertés caractérisant les libertés de conscience et de religion comme fondamentales.

* Article 10 du chapitre 1.1. sur le droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés  de la même charte, sans distinction ni exclusion.

* Article 2 des libertés fondamentales de la charte canadienne des droits et libertés affirmant que chacun détient les libertés de conscience et de religion.

* Article 15 sur les droits à l’égalité de la même charte, protégeant les citoyens contre toute discrimination liée, entre autres, à la religion, n’interdisant pas pour autant toute loi ou programme destiné à servir des groupes défavorisés par leur religion, couleur, déficience, etc.

Drôle, mais si cette mesure d’interdiction passe au Québec, on ne s’habillerait plus comme on veut, mais comme l’État nous l’aurait exigé! De quel droit alors pourrait-on critiquer ce type de pratique dans des pays comme l’Arabie-saoudite?

À l’école d’été de l’Institut du nouveau monde, j’ai eu une discussion intéressante avec la présidente du Conseil du statut de la femme, organisme consultatif du gouvernement en matière de condition féminine.  Avant sa prise de parole devant le public, la présidente m’a présenté la position de son organisme quant à la place du religieux dans la société, rejetant le modèle de laïcité ouverte et encourageant l’abolition du port des signes religieux dans la fonction publique, car ce serait dit-elle un pas vers une réelle égalité entre hommes et femmes.

Mme Julie Miville-Dechêne a par la suite entamé son discours féministe et pendant presque une heure faisait l’éloge des valeurs fondatrices de ce mouvement, que sont la promotion de l’ouverture d’esprit et le rejet des stéréotypes, desquels découlent les discriminations tout en mettant l’emphase sur le libre-choix de la femme comme l’essence sur laquelle reposerait le féminisme.

Petite contradiction Mme Dechêne ne trouvez-vous pas? Vous dites autrement que la seule et unique porte d’accès à un emploi dans le réseau public pour toi citoyenne musulmane portant le voile serait de l’enlever. Mais quel choix me laissez-vous et de quelle liberté parlez-vous alors?

Mme Dechêne a rajouté que le CSF ne souhaiterait pas reprendre la conception française de la laïcité précisant qu’on ne voudrait pas interdire le port de ces signes par les étudiants dans les établissements scolaires.

Mais quelle grâce! À quoi me servirait d’étudier 16 ans pour me retrouver face à une telle réalité, vous, féministes, qui défendez tant l’accès des femmes à l’emploi et par conséquent, leur indépendance financière? Dans ce cas, il est peut-être temps d’apporter une précision au nom de votre organisme : Conseil du statut de la femme non-voilée!

Exclusion…

Non seulement l’interdiction du port des signes religieux exclurait de nombreuses femmes de l’accès à la fonction publique, mais cette mesure les exclurait carrément de la société, car le sait-on, il est insensé de parler d’intégration si insertion économique n’a pas lieu. Une telle mesure diminuerait également, pour ne pas dire annulerait, tout sentiment d’appartenance que la personne est sensée développer envers la société dans laquelle elle vit, car elle ne se sentirait pas accueillie. D’ailleurs, ce serait d’établir une catégorisation entre femmes de premier rang et celles du second, portant le voile, n’ayant donc pas tous les critères pour être professionnellement reconnue. Tout cela conduirait à la destruction des conditions favorables à l’intégration sociale au Québec.

Illusion…

Le Québec en 2013 vit une période assez tourmentée avec de profonds problèmes de société et ce dans tous les domaines. Bref, ça ne va bien nulle part, de la situation des infrastructures des villes à l’assainissement des finances publiques, en passant par les défis liés au système d’éducation et celui de la santé sans oublier la situation de l’emploi.  Gouvernement Marois, ce sont toutes ces situations qui inquiètent le Québécois, non pas le voile, la kippa, la croix ou le turban!

Au lieu d’égarer nos réflexions dans des débats  (et des chicanes) inutiles, peut-être devrions-nous plutôt nous pencher sur les problèmes réels de notre société et débattre avec autant d’énergie des véritables défis qui se dressent présentement devant le Québec.

Hajar Jerroumi

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