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La Suisse devrait réstituer 50 millions d’euros à la Tunisie

La Suisse devrait réstituer 50 millions d'euros à la Tunisie

Enrico Monfrini est un avocat spécialisé dans les avoirs illicites à l’étranger. (DR)

INTERVIEW Le célèbre avocat genevois, Enrico Monfrini, chargé par la Tunisie de récupérer les biens détournés par Ben Ali fait le point.

Deux ans après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, la Tunisie, en pleine crise politique, n’a toujours pas récupéré les biens détournés à l’étranger par le dictateur, sa femme Leïla Trabelsi et leurs proches. Pour autant, le pays fait preuve d’une volonté plus forte que ses voisins libyens ou égyptiens dans la chasse aux biens mal acquis. Huit mois après la fuite de Ben Ali, la Tunisie a ainsi demandé au célèbre avocat genevois, Enrico Monfrini, de se charger du dossier.

L’homme affiche à son palmarès la plus importante restitution d’avoirs volés: 1,3 milliard de dollars détournés à l’étranger par le général Abacha et rendus au Nigéria en 2005. Depuis 2011, Enrico Monfrini rêve d’un succès similaire et ne lâche pas le dossier tunisien, malgré des lenteurs qui l’agacent. Il appelle d’ailleurs le Président François Hollande “à donner des moyens au juge en charge du dossier” français.

Vous avez été mandaté par la Banque centrale de Tunisie en septembre 2011 pour traquer les avoirs du clan Ben Ali-Trabelsi à l’étranger. Où en êtes-vous? 

J’ai un mandat mondial, qui couvre tous les pays, mais je ne travaille pas sur le Moyen-Orient, car l’Arabie SaouditeDubaï et le Qatar ont malheureusement tendance à ne pas collaborer sur ce type de dossier. J’ai commencé par la Suisse, car le gouvernement a été le premier à geler les avoirs de Ben Ali, cinq jours après sa fuite, et parce que le pays est considéré comme une plaque tournante pour les fonds des dictateurs.

Dans le cas du nigérian Sani Abacha, j’avais mis la main sur 600 millions de dollars en Suisse. Mais les autorités spécialistes de ce genre d’affaires ne sont plus les mêmes qu’il y a dix ans. Le code de procédure pénale a changé le 1er janvier 2011, tout a été chamboulé. Du coup, les juges ont commencé par tâtonner.

Cela a alors ralenti l’avancée du dossier?

Au début oui, même si ensuite la Suisse a réalisé des progrès notables. La justice a reconnu que les clans Ben Ali-Trabelsi constituaient une “organisation criminelle”, ce que le droit français nomme une “association de malfaiteurs“. Cela a un effet redoutable. Car le fardeau de la preuve se renverse. Les personnes soupçonnées par la justice suisse d’avoir volé les Tunisiens doivent désormais prouver qu’elles ne l’ont pas fait, et non l’inverse.

En 2011, les ONG estimaient les avoirs tunisiens illicites à l’étranger entre 5 et 10 milliards de dollars. Quel est le montant des sommes bloquées en Suisse?

60 millions de francs suisses (50 millions d’euros), dont 40 millions de francs suisses (30 millions d’euros) sur des comptes de Belhassen Trabelsi, le frère de Leïla Trabelsi. Je pense que d’ici un an, peut-être un an et demi, la Suisse restituera cette somme à la Tunisie. Il m’a fallu cinq ans pour Abacha, il m’en faudra environ trois pour Ben Ali.

Sur la trace de combien de personnes du clan êtes-vous?

Je compte 300 personnes sur ma liste. Mais la Suisse n’a lancé une alerte générale auprès des banques que pour 48 personnes. Pour l’instant, ce qu’on a trouvé est assez décevant. Mais, contrairement à d’autres dictateurs, Ben Ali semble avoir beaucoup moins exporté l’argent volé. Son terrain de jeu c’était la Tunisie, il considérait que le pays lui appartenait et y laissait sa fortune.

Quel est le montant des avoirs du clan en France?

Ils sont considérables, ils atteignent plusieurs centaines de millions d’euros. Je possède une liste d’une quarantaine d’immeubles prestigieux et de terrains somptueux, comme une plage près de Saint-Tropez. Le montant d’une vente de chevaux a également été saisi. Mais le juge Roger Le Loire, qui instruit l’affaire, est très seul. Et comme il travaille aussi sur d’autres gros dossiers, comme l’affaire Karachi, il a beaucoup de pain sur la planche. Du coup, tout est beaucoup plus long qu’en Suisse. Tant que la France continuera à tirer le rideau sur les affaires de corruption, tant qu’il n’y aura pas une volonté politique de mettre davantage d’hommes et de femmes sur le dossier, rien n’avancera. J’espère que le nouveau pouvoir a conscience du problème.

La famille avait également des biens au Canada

Le Canada c’est Kafka… La porte est complètement fermée. La justice tunisienne a lancé en 2012 un mandat d’arrêt international pour extrader Belhassen Trabelsi du Canada (où il a fui au moment de la révolution, ndlr). Mais c’est tout juste si la justice canadienne ne nous répond pas qu’elle ne sait pas où il habite !

Avez-vous été surpris par l’enquête de Nice-Matin (du 16 février), qui affirme que 1800 lingots d’or, soit près de 72 millions d’euros, sont sortis de Tunisie depuis 2011 et ont transité par quatre aéroports français pour rejoindre Dubaï ou Istanbul?

Non pas du tout. En 2011, on avait soupçonné Leïla Trabelsi d’avoir détourné 1,5 tonne d’or. Le montant est proche. Je vais demander au juge Le Loire de lancer des commissions rogatoires dans les pays qui ont reçu ces lingots afin qu’ils enquêtent sur l’affaire.

Quand est-ce que les avoirs étrangers, autres que suisses, seront restitués à la Tunisie?

Pour la France, cela dépend du bon vouloir de  Hollande, qui doit donner des moyens au juge en charge du dossier. Pour le Canada, ce sera quand les poules auront des dents. Et pour le Moyen-Orient, quand les poules auront une double rangée de dents !

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