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Entretien avec le fils de Dahmane Harrachi

Kamal Amrani : «Si tu gardes ta culture pour toi, tu empêches beaucoup de monde  de l’apprécier»

Sa chanson a fait le tour du monde; mais personne ne lui en attribue la paternité. C’est un signe qui ne trompe pas : «Ya errayeh, fin msaffer…» fait désormais partie du patrimoine universel. En particulier celui des migrants de ce monde qui vont de pays en pays à la recherche d’un bonheur qui n’est pas toujours là où on pense le trouver.

Dahmane Harrachi, de son vrai nom Abderrahmane Amrani, chantre de l’émigration méritait qu’on renouvelle sa mémoire, qu’on lui rende justice et qu’on honore sa mémoire. 

Wahid Megherbi se charge de cette mission à travers un succulent entretien avec le fils de l’artiste défunt, artiste lui-même. Kamal Amrani nous parle ici de son père, de son art, de ses souvenirs, du monde tel qu’il évolue et des migrations.

 

Wahid Megherbi : Quelle est la question que Kamal aimerait qu’on lui pose en premier ?

Kamel Amrani : Je suis très content de t’avoir vu après tant d’années, ce fut une surprise pour moi ; toi qui me disais que tu ne te souviendrais pas de moi. Pour ta question, j’ai l’habitude de répondre à des interviews. On me dit, à chaque fois, Kamel fils de Dahmane El Harrachi; tu es le premier à ne pas me la poser.

Je voudrais cette fois qu’on me questionne sur ma personne, comment je suis, quels sont mes gouts, mes affinités, mes opinions ; c’est important pour moi. J’aimerai  débattre  sur  différents  sujets ; j’aimerais qu’on découvre Kamel. Lorsque je chante, je ne veux pas chanter n’ importe quoi, j’aime chanter le vécu, ce que vivent les gens, ce que ressentent les personnes. Je vis en communion avec la population et je découvre ce qu’ils vivent et endurent. Je ne suis pas bavard de nature ; je préfère écouter, observer et être attentif aux gens.

Souvent  les personnes qui me sont proches me tiennent au courant d’événements réels; cela m’arrive, également, de m’informer en regardant la télé, en écoutant la radio. J’aime chanter le vécu des personnes car je les côtoie tous les jours. C’est ainsi que l’on découvre leurs multiples facettes et comprendre leurs aspirations et déceler leurs souffrances.

Comme disait mon défunt  père : “ Ya hlilou li maandouche lektaf ”.  C’est avec ça que j’ai réussi à composer mes textes, qui sont les témoins du vécu des gens. J’aime rester fidèle.

Es- tu alors un chanteur engagé ?

Il y a différentes façons d’être un chanteur engagé;  mon père était lui un chanteur engagé. Il avait  sa propre méthode et son style. En l’écoutant, il était un peu évasif, c’était peut-être voulu de sa part.  Je pense que chanter le vécu, fait de moi un chanteur engagé. Si on chante une situation ou un événement, cela veut dire qu’on est engagé.

Comment vois-tu l’évolution présente de l’Algérie ?

Il y a des choses que j’aime en Algérie et y en a d’autres que je réprouve. Je suis engagé dans tout ce que vit mon pays. L’Algérie, pour moi c’est le monde entier. Mon pays ce sont  les petites gens, les voisins , celles et ceux  que je ne connais pas . Je suis, surtout, engagé envers  cette jeunesse qui est l’espoir d’un peuple : “ Ana  Djazairi mia bil mia,  oua mihnati hia el moussika  allati hia thakaffati ”. (Je suis Algérien à cent pour cent, mon métier c’ est la musique qui n’est autre que ma culture). J’accompagnerai toujours l’évolution de mon pays.

Est-ce que la culture arabe peut s’exporter de nos jours ?

J’ai reçu un accueil formidable en Australie, Nouvelle-Zélande, en Scandinavie et aux Amériques. Si tu gardes ta culture chez toi, tu empêches beaucoup de monde de l’apprécier. Je chante l’Algérois, qui est apprécié dans différentes contrées dans le monde.  Pourquoi ne pas partager nos atouts culturels avec d’autres peuples. Je vois beaucoup d’Européens s’intéresser à la musique Chaâbi. Lors de mes concerts en France, je me suis rendu compte que de nombreux spectateurs ne sont pas arabes, mais bien français de souche. Ce qui dénote de l’ouverture vers autrui que véhicule la musique arabe, en l’occurrence le Chaâbi et d’autres styles musicaux.

Peut-on te considérer comme un Ambassadeur  de la culture algérienne ?

Chaque Algérien qui participe à une activité quelconque dans le domaine professionnel, artistique, sportif ou autre est un Ambassadeur de son pays. Pour ma part je me considère comme un petit chanteur qui s’active pour donner du plaisir aux mélomanes et au amateurs de musique Algérienne.

Grâce à un chanteur Algérien décédé, il y a plus de trente ans, Dahmane El Harrachi, Allah yerrahmou , la musique Algérienne a conquis le cœur de millions de personnes. Ceux-ci ont cherché à mieux connaître le pays d’origine de ce musicien compositeur. J’ai hérité de mon père, un désir ardent de faire partager cette culture  pour que les gens aient une idée positive de notre pays l’Algérie, qui possède un patrimoine culturel conséquent.

Comment sont tes relations avec les Médias ?

Si je ne médiatise pas ce que je fais, cela ne servira qu’à moi et ma communauté et c’est tout.  Sans communication, tout travail artistique est voué à disparaître. Médiatiser a pour but d’approcher un public plus large et plus hétéroclite. Chaque Interview ou Clip vidéo sont des outils forts pour pérenniser un travail artistique.

Choisis-tu les textes que tu chantes ?

Je respecte mon auditoire à travers mon travail, je suis exigeant avec moi-même, je le fais spontanément ; je ne cherche pas la célébrité. Je n’aimerais pas chanter n’importe quoi. On m’a proposé de chanter des textes qui ne rimaient pas  avec mes principes et qui ne me correspondaient pas.

 Ton Instrument préféré ?

C’est le Mendole Algérien, qui est un instrument introduit pour la première fois  dans les orchestres de la musique Chaâbi par feu El hadj Mohamed El Anka. Le Mandole n’est pas l’Oud (Luth) ni le Banjo ; il a un son qui sied bien aux rythmes de  la musique algéroise. C’est devenu l’instrument principal de ce style musical.

 Que représente  pour toi la musique Andalouse ?

Avant toute chose, je dirai que la musique andalouse fait partie du patrimoine culturel auquel je m’identifie. C’est une musique traditionnelle préservée dans les trois pays du Maghreb. Je tiens à dire que le style Chaâbi Algérien, qui émane de la musique andalouse, est apprécié autant par les Marocains que les Tunisiens. Je les rencontre, souvent, lorsque je vais à la rencontre de mon public à la fin de mes spectacles. Je pense que le Chaâbi Algérois s’est Maghrébinisé .

Ton chanteur préféré ?

Je dirais, sans hésiter , Dahmane  El Harrachi , mon père Allah Yerrahmou . Tous les textes et chansons composés par ce chanteur reflètent le vécu de la société algérienne pour laquelle il s’est grandement investi.

Il  était comment comme père ?

Les quelques souvenirs que je garde de lui me rappellent qu’il fut un père à l’écoute, très attentif. Il prenait le temps d’expliquer, à moi et mes frères et sœurs, les meilleures manières de se comporter dans la vie courante. Il était observateur et affectueux. Il parlait peu.

Crois-tu que la Diaspora, chantée par ton feu père, pourrait jouer un rôle dans l’évolution de l’Algérie ?

La diaspora fait partie intégrante de la population algérienne. Chaque personne qui évolue à l’étranger est le représentant de notre pays. Le Médecin, l’Informaticien, l’Artiste ou toute autre personne doit jouer un rôle dans l’évolution future de notre pays d’origine.

Les membres de la communauté Maghrébine au Canada vont lire cette Interview, quelle est ton message pour eux ?

Je demande aux membres de la communauté maghrébine d’être unis, solidaires et de trouver, ainsi, les meilleurs moyens et voies pour défendre leurs intérêts légitimes.

Travailler main dans la main doit être le slogan de chaque Maghrébin, pour faire en sorte que notre unité régionale soit une réalité et non pas une utopie.

Portrait du père

Abderrahmane Amrani, connu sous le nom de scène Dahmane el-Harrachi, né le 7 juillet 1926 à El-Biar (un quartier d’Alger) et mort le 31 août 1980 à Aïn Benian (près d’Alger), est un musicien, auteur-compositeur et interprète algérien de musique chaâbi.

D’origine chaoui, du village Djellal dans la wilaya de Khenchela, son père s’installe à Alger en 1920 et devient muezzin à la grande mosquée. Après la naissance de Dahmane (diminutif de Abderrahmane), la famille déménage à Belcourt, rue Maret, puis s’installe définitivement à El Harrach.

En 1949, il se rend en France et s’installe à Lille, puis à Marseille et enfin Paris, ville qu’il ne quittera pratiquement plus. Pendant des années, il se produit dans les cafés maghrébins des villes de France avec son banjo, en interprétant le répertoire chaâbi et les chansons en vogue.

Dahmane El Harrachi a eu droit à sa première vraie scène lors du Festival de la Musique maghrébine qui s’est tenu au début des années 70 à La Villette. Découvert sur le tard par la nouvelle génération en Algérie, il ne s’est produit officiellement en public qu’en 1974 à la salle Atlas d’Alger où il remporta un franc succès.

Une de ses chansons les plus célèbres Ya Rayah (Le Voyageur) a connu un grand succès planétaire. La chanson originale a fait le tour du monde et a été traduite en plusieurs langues tout en gardant la même mélodie.

Wahid Megherbi (Atlas.Mtl 171)

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