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“Les Marocains ont exprimé le rejet d’une élite politique usée et opportuniste”

Alors que les élections législatives se sont tenues ce week-end au Maroc, le parti islamiste (PJD) a, comme en Tunisie, remporté le scrutin selon les résultats annoncés dimanche. Questions à Mohamed Fadil Redouane, doctorant à l’Université de Montréal et spécialiste de l’islamisme au Maroc.

Les Marocains se sont-ils sentis majoritairement concernés par ces élections?

Apparemment, les Marocains ne se sentent pas majoritairement concernés par ces élections, selon les chiffres officiels. Le taux de participation parmi les inscrits sur les listes électorales n’a pas dépassé 45%. Ce taux – même s’il est un peu plus élevé que le taux enregistré aux élections précédentes de 2007 (37% selon les chiffres du ministère de l’Intérieur) -, demeure faible en tenant compte du contexte dans lequel s’est passé ce dernier scrutin et surtout du taux de participation enregistré dans le referendum constitutionnel d’il y a 5 mois.
S’il y a un commentaire à faire, c’est qu’il s’avère qu’une grande majorité des Marocains a favorisé, comme d’habitude, le silence comme moyen d’exprimer son désenchantement vis-à-vis d’une sphère politique asservie et dominée par le  Mekhzen (le régime traditionnel gouvernant au Maroc). Ainsi, en s’abstenant de participer à ces élections, lesquelles ont lieu juste après l’adoption d’une nouvelle constitution, une bonne partie des Marocains ont manifesté leur insatisfaction vis-à-vis de cette nouvelle réforme constitutionnelle, que l’on a qualifiée d’historique en matière de possession et de gestion de pouvoir dans ce pays. Ils ont exprimé également leur rejet d’une élite politique usée et opportuniste.

Quels étaient les principaux partis politiques participant aux élections?

La mosaïque caractérisant le paysage politique marocain (environs 40 partis dont l’identité politique et idéologique est souvent mouvante) est complexe. Si on se prend en considération les coalitions politiques à travers lesquelles les principaux partis marocains ont mené ces élections, nous nous trouvons devant trois formations : la coalition du G8, qui fédérait huit organisations politiques, dont les principales sont le Rassemblement national des indépendants (RNI) et le Parti authenticité et modernité (PAM), deux formations libérales proches du palais royal. La coalition de la Koutla, composée des trois « vieux » partis, dont l’Istiqlal (libéral droite), dirigé par le premier ministre sortant, et l’USFP (socialiste) et le PPS (communiste). La Koutla a perdu depuis longtemps une bonne partie de sa crédibilité populaire après une expérience politique insignifiante au sein  des trois derniers gouvernements. Enfin, la troisième formation est celle du Parti de la Justice et Développement (islamiste modéré) lequel en est à sa quatrième participation électorale, la première remontant au scrutin de 1997, quelques mois seulement après sa création.

Parlez-nous des vainqueurs de ces élections, les islamistes du PJD?

Selon les résultats officiels finaux, le Parti justice et développement (PJD) est arrivé en tête des élections législatives du 25 novembre en décrochant 107 sièges au parlement, soit 27.8%. À la deuxième place vient le parti  l’Istiqlal avec 60 sièges, 52 sièges pour le Regroupement National des Indépendants (RNI), 45 sièges en faveur du Parti Authenticité et Modernisation (PAM), 38 sièges à l’Union Socialiste des Forces Populaires.
Le parti de la Justice et de Développement au Maroc s’inscrit dans la tendance islamiste réformiste et modérée, une tendance née dans les années 80 qui a mis à jour une nouvelle génération d’islamistes, lesquels, à l’inverse de leurs aînés qui visaient l’islamisation directe de l’État et de la société selon le modèle du califat islamique, ont prôné une participation politique pacifique au sein des régimes en place. Cette mutation des modes d’action et d’organisation, qui sont le fruit d’un long processus de reformulation idéologique et de révisions intellectuelles de la version classique de l’islamisme, a abouti à la naissance d’un ensemble de mouvements ainsi que d’un parti politique islamiste modéré de référence, le PJD. En tenant compte des différences structurelles entre les pays du monde arabo-musulman, nous pouvons situer le PJD marocain  dans la même tendance que le PJD turc ou le Mouvement de la renaissance Ennahda de Rached Ghannouchi qui vient de remporter les élections en Tunisie.

Y a-t-il d’autres mouvements islamistes forts au Maroc?

Face au PJD, le mouvement islamiste marocain le plus fort est celui d’Abdessalam Yacine, appelé jama‘at al-‘adl wa-l-ihsane (“Groupe d’Équité et de Bienfaisance”). Ce mouvement s’inscrit dans une tendance protestataire mais pacifiste. À l’inverse des islamistes du PJD qui ont réussi à trouver un compromis avec le régime marocain, basé sur une reconnaissance réciproque de leur légitimité, le mode d’action du groupe de cheikh Yassine se base depuis plus de trois décennies sur un boycott politique de toute activité contrôlée par le régime, jumelé à une forte présence prédicatrice, en particulier sur les campus universitaires.

Après de longues années de confrontation silencieuse avec le régime (son leader a passé plusieurs années en résidence surveillée, et quelques dizaines de ses activistes ont été emprisonné), ce groupe a trouvé dans le mouvement du 20 février, version marocaine des mouvements issus du Printemps arabe, un cadre propice à une confrontation ouverte et directe avec le régime, mais dans la rue cette fois-ci. C’est ainsi qu’il a mis une bonne partie de ses jeunes ainsi que son expérience d’organisation et d’encadrement des manifestations protestataires en faveur du mouvement du 20 février. Fidèle à un mode d’action se basant sur le boycott politique du régime en place, le groupe de cheikh Yassine a menée, avec d’autres alliés issus de la gauche radicale une grande compagne de mobilisation visant justement à boycotter le referendum constitutionnel de juillet et les élections législatives de vendredi.

Outre le mouvement de cheikh Yassine, on trouve un ensemble de petit partis islamistes mais élitistes (en partculier al-oumma et al badil alhadari), et un mouvement salafiste divisé et usé suite à la domestication de quelques-uns de ses leaders et l’emprisonnement de la plupart de ses activistes à la suite des attentats du 2003 à Casablanca.

Le roi va-t-il gouverner avec les islamistes du PJD?

Le roi n’a pas le choix cette fois-ci. La nouvelle constitution institue un chef de gouvernement qui doit être nommé « au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants (article 49). Cette nouvelle constitution donne même au chef de gouvernement plus de prérogatives que ses précédents, bien que cette même constitution se focalise encore autour d’une monarchie exécutive. Il reste à mentionner que même si les résultats réalisés par le PJD sont très bons, ce parti ne peut pas former seul le prochain gouvernement.  Un des choix les plus plausibles est donc une coalition du PJD avec la Koutla.

Le Mouvement dit du “20 février” va-t-il se poursuivre maintenant que des élections ont eu lieu?

La réponse à cette question se trouve illustrée dans les faits qui ont précédés le scrutin de vendredi et ceux qui lui ont succédé.  En fait , un des thèmes clés des dernières manifestations de ce mouvement du 20 février a été de mobiliser le peuple marocain afin qu’il boycotte ce scrutin et avant cela le referendum constitutionnel de juillet. Un des points forts du mouvement du 20 février -bien qu’il se veuille spontané- est d’être en réalité encadré par des organisations politiques dont le mode principal d’action et de réaction découle du boycott des élections. Le dimanche même qui a suivi les élections, le mouvement du 20 février a ainsi appelé ses activistes à reprendre ses manifestations dans tout le Maroc. L’objectif ultime est donc toujours le même, une monarchie parlementaire réelle et une disparition immédiate des figures corrompues du régime politique marocain. L’un des défis principaux du prochain gouvernement sera justement de trouver un terrain  de négociation avec ce mouvement du 20 février.

Propos recueillis par Matthieu Mégevand

lemondedesreligions.fr

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