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La Tunisie à un tournant de son histoire 6 000 votants au Canada

Neuf mois après la chute de l’ex-président Ben Ali, la Tunisie vit un moment-clé de son histoire: ses premières élections libres, qui mèneront à l’écriture d’une nouvelle Constitution. Pour les Tunisiens, le printemps arabe fait place à un automne de changement. Hier, aujourd’hui et demain, les quelque 16 000 Tunisiens établis au Canada se rendent aux urnes pour choisir les membres de l’Assemblée constituante. Leurs concitoyens en Tunisie faisaient de même ce dimanche 23 octobre 2011. Au Canada, la diaspora tunisienne devait élire deux représentants, parmi 19 candidats, pour la circonscription qui englobe l’Amérique et une partie de l’Europe. Les 217 élus de cette assemblée auront ensuite la responsabilité de rédiger la nouvelle Constitution tunisienne, avant d’organiser des élections législatives, d’ici environ un an.

Les premières élections libres 

Les Tunisiens vivaient ainsi leurs premières élections libres depuis l’indépendance en 1956, mais surtout les premières depuis l’arrivée au pouvoir en 1987 du dictateur déchu, Zine el-Abidine Ben Ali, aujourd’hui réfugié en Arabie saoudite. «Vingt-trois ans de pourriture», lâche Nabil Amira, un opposant de la première heure à Ben Ali, emprisonné en 1990 pour «participation à un mouvement politique non enregistré», dit-il. Établi au Québec depuis quatre ans, Nabil Amira a aussi perdu un proche pendant les révoltes de janvier 2011 en Tunisie.

Pour la communauté tunisienne à Montréal, il n’était pas question de manquer ces élections. La majorité des candidats de la circonscription habitent d’ailleurs la métropole. Mais le choix était loin d’être facile. En Tunisie, le nombre de partis a explosé depuis la chute de Ben Ali, passant de 8 à 112, en plus de centaines de candidats indépendants. «Les Tunisiens sont totalement déboussolés», explique Malek Letaïef, porte-parole du Collectif tunisien au Canada, un organisme non partisan qui a organisé des débats entre les candidats à Montréal. «On sort de 50 ans de pensée unique. Les gens ne savent plus à quel saint se vouer», poursuit-il.

Entre tradition et changement

Le spectre des candidats à ces élections couvrait toutes les idéologies politiques: libéraux, conservateurs, communistes, socialistes, islamistes, écologistes… Mais le débat opposait surtout laïques et religieux, qui ont pourtant manifesté côte à côte pour renverser le régime de Ben Ali.

À la sortie du bureau de vote, au consulat tunisien à Montréal, les débats entre concitoyens se poursuivaient avec passion. «Ennahda est le seul parti qui soit vraiment organisé. Les autres partis ne reposent que sur une seule personne, clamait Béchir Jghobbi, 35 ans. Il va diversifier l’économie et il n’y aura pas de démocratie tant qu’il y aura de la pauvreté», poursuit-il, interrompu par ses amis qui ne partagent pas ses convictions. Nessrine Lassoued, une jeune femme voilée de 25 ans, préfère un parti totalement laïque, le Congrès pour la République. «Il faut protéger nos droits acquis», justifie-t-elle. Bien que la majorité de la population se dise musulmane, la séparation entre religion et État demeure une valeur chère aux Tunisiens. Les partis religieux intégristes sont toujours bannis des élections, tels que Hizb Ettahrir — le «parti de la liberté» —, qui prône l’adoption de la charia, la loi islamique. Plusieurs Tunisiens, comme le candidat progressiste Ramzy Messaoudi, craignent qu’un parti islamiste modéré comme Ennahda change de discours une fois au pouvoir. «Pour nous, la religion ne devrait pas être un sujet de discussion dans le débat politique», dit-il.

Le spectre de l’ancien régime

Mais ce que redoute surtout Ramzy Messaoudi, c’est le retour au pouvoir des proches de l’ancien régime. «La famille de Ben Ali est tombée, mais son régime est encore présent», affirme-t-il. Selon plusieurs Tunisiens établis à Montréal, une quarantaine des 112 partis qui se présentent aux élections sont en fait constitués d’ex-membres du parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), dissous après le départ du dictateur. Aujourd’hui étudiant en sciences politiques à l’UQAM, M. Messaoudi a goûté à la répression de l’ancien régime. En 1998, alors âgé de 22 ans, il a été arrêté et battu par la police, pour son militantisme étudiant. Il s’en est sorti avec deux côtes brisées et quelques mois de prison.

Pour lui, comme pour Nabil Amira, la présence d’anciens partisans de Ben Ali parmi les candidats est inacceptable. «Nous ne voulons pas les éliminer, nous ne cherchons pas la vengeance, mais nous leur demandons de rester à l’écart pendant l’écriture de la nouvelle Constitution», explique M. Amira.

Des acquis et des problèmes en suspend

De l’avis du porte-parole du Collectif tunisien au Canada, Malek Letaïef, les Tunisiens ont acquis de nombreuses libertés depuis le printemps arabe, mais la liste de problèmes à régler est encore longue: chômage, répartition de la richesse, corruption, transparence des institutions, indépendance du système judiciaire, liberté des médias. «Il faudra un travail colossal pour changer les mentalités, dit M. Letaïef. Ce ne sont pas tous les partis qui sont favorables à une véritable refonte.» Malgré les voix discordantes au sein des futurs élus, M. Letaïef demeure optimiste. «Le fait qu’on puisse avoir ce genre de débat après autant d’oppression, c’est fantastique.»

Source: Atlas.Mtl 167

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