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Le goût des autres : le Maroc

S’il fallait une preuve du talent de la cuisine marocaine, ce serait peut-être d’avoir installé son fameux couscous au menu idéal des Français.

Si la table marocaine aime à faire durer les voluptés de repas, c’est peut-être parce qu’elle a su se nourrir de ceux qui, au fil des siècles, s’y sont invités avec plus ou moins de civilités. Cette cuisine ? Un cortège patient et profond de saveurs abbassides, berbères, morisques, sud-sahariennes, juives. Voilà qui autorise sûrement, depuis cinquante ans, le Maroc des appétits à rendre un peu la pareille au banquet mondial. Vu d’ici, encore plus drôle ! Les pastillas, les tajines et surtout les couscous se classent régulièrement parmi les plats fétiches au coeur (et à l’estomac) des Français, ajoutant comme un supplément à cet autre roman national qu’est notre grand livre de cuisine. Avouons là non une revanche ou un juste retour des choses mais simplement une complicité qui donne à méditer le talent d’une cuisine qui, en s’offrant à toutes les bouches, invente comme une diplomatie des plaisirs, gourmande et pacifiée. Et voilà comment, le temps d’une recette, s’incarne une certaine union pour la Méditerranée. Certains seraient bien inspirés d’en prendre de la graine.

Ce qu’on devrait leur chiper…

LA PATIENCE EN CUISINE…
Pour cause de temps que n’a pas (ou que ne prend plus) le fier pays de Cocagne « micro-onde » à tout va, là où le Maroc s’inscrit encore dans une certaine durée qui fait que l’acte de cuisiner se dimensionne au-delà de la simple préparation des mets. Certes, les sociologues de tous crins cravacheront l’argument selon lequel la modernité n’a pas le même galop des deux côtés de la Méditerranée, il n’empêche qu’on serait bien inspiré de retrouver sincèrement le vrai rythme des fourneaux plutôt que de se planquer derrière l’écran très plat et trop cathodique, pour être honnête, des « dîners presque parfaits » et autres « mastercheferies ».

… ET LA LENTEUR À TABLE
Même punition, même motif mais cette fois du côté de la salle à manger où, dans l’ironie des paradoxes, notre temps actuel passé à table se réduit comme peau de chagrin à l’heure même où le si précieux « repas des Français » se retrouve, depuis l’hiver dernier, sanctifié en monument par l’Unesco. Sans gloriole ni breloque, le Maroc continue, lui, de cultiver une certaine indolence d’appétit, moins par souci de bombance que par politesse du partage. Une très soutenable légèreté du manger ensemble.

BOIRE CHAUD…
Moins pour les voluptés du thé à la menthe, élevé, de Tanger à Essaouira, au rang de quasi-rituel, que pour cette propension marocaine à siroter, toute la journée, des infusions. Une disposition aussi vertueuse pour la santé dans son talent à éliminer les toxines que talentueuse à délier les langues.

Ce qu’on leur a piqué…

LE SUCRÉ SALÉ
Est-ce un penchant inné ou l’acquis de ses diverses influences, toujours est-il que la cuisine marocaine cultive une longue pratique du sucré salé. Une harmonie que cristallise, au propre comme au figuré, l’instant de la pastilla, emblématique spécialité où, sous feuille de brick, le pigeon, le poulet, voire les fruits de mer, se conjuguent aux épices, fruits secs et cannelle jusqu’à offrir une recette dont on ne sait plus très bien si elle est plat ou gâteau. Peu importe d’ailleurs, puisque à fréquenter ce genre de préparation, notre cuisine y a gagné l’audace d’un sacré mélange des genres.

LE COUSCOUS
Est-ce encore bien nécessaire de faire les présentations ? Ce chef-d’oeuvre nord-africain de la semoule est devenu, par goût autant que par intimité historique, un référent de notre très patrimoniale popote, régulièrement classé parmi les plats préférés des Français. Mieux encore, non content de multiplier les variantes au Maroc comme dans les traditions familiales, le couscous infuse les créations de quelques chefs hautement tricolores (dixit le désormais fameux couscous de chou-fleur signé Alain Passard).

LE TAJINE
Lui aussi régulièrement plébiscité au menu national. Sauf qu’à bien observer les incidences de ce classique des classiques marocains dans notre cuisine, ce n’est pas tant la recette en elle-même qui l’emporte (une façon de ragoût de viande, de volaille, de poisson, de légumes ou de fruits) que l’ustensile qui en autorise la préparation. Plat en terre cuite, conique, le tajine permet, depuis bien des lointains, la petite science d’une cuisson à l’étouffée. Il n’y a donc pas loin à imaginer qu’à son contact, et bien avant les papillotes et autres fours dédiés, nos pratiques culinaires ont compris et adopté l’intérêt de cuire vapeur pour préserver l’intégrité du produit.

Ce qu’on leur laisse volontiers…

LA REDITE
Certes, en cuisine comme ailleurs, il y a une certaine habileté à varier autour d’un même thème mais, aux fourneaux marocains, avouons ce penchant de la déclinaison à deux doigts de l’obsession, tant on y compte autant de couscous qu’il y a de mères. Pour deux olives de plus, un nouveau tajine. Pour un pruneau de moins, une autre pastilla. Du coup, le reste du menu passe régulièrement à la trappe de la postérité, la jeune garde créative est au garde-à-vous des plats cultes et la gastronomie s’enferme dans des querelles de Clochemerle, fût-ce au pays des bleds.

LE MOUTON
Viande totem, à mi-pente du rituel et du païen, régulièrement convoquée aux braises et aux broches marocaines, la race ovine s’y épanche dans de très généreux atours qui, à l’instant de la dégustation, aurait comme une fâcheuse tendance à installer le coeur au bord des lèvres. Car, quand on dit agneau, le Maroc aime à répondre mouton et voilà comment le méchoui gras du bide l’emporte sur les mignardes côtes premières tandis que la chair capiteuse, mâture et suiffeuse triomphe des subtilités graciles du pré-salé. Bah, les goûts sont parfois affaire de mensurations…

 

Le Figaro : Par Emmanuel Rubin

 

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