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Comment peut-on être persan ?

Lors de mes premiers pas au Québec, tout imbu de ma culture d’origine, des valeurs acquises au Maroc et en France, il fallu, pour me faire aux réalités qui étaient désormais les miennes quotidiennement, surmonter quelques chocs, celui de la langue par exemple (puisque ma francophonie n’était pas, comme on me l’avait laissé entendre, un avantage), celui de mes diplômes (qui quoique supérieurs ne semblaient pas peser autant que «l’expérience québécoise»). Il fut ensuite nécessaire d’apprendre à décrypter un certain nombre de codes sociaux plus ou moins bizarres de mon point de vue. Puis vint le moment d’affronter le quotidien.

 

Migrations et société

Grande surprise, partagée vraisemblablement avec beaucoup de mes semblables : l’individu ici ne vaut que par le groupe auquel il appartient et le communautarisme, regardé ailleurs comme une notion péjorative, est une force. Ainsi, toute personne qui n’aurait pas une culture forte comme référent sera-t-il souvent regardé comme «venant de nulle part» et par conséquent présentant peu d’aptitudes à une véritable intégration; tant il est vrai que l’on ne peut s’intégrer qu’en s’acquittant d’une sorte de ticket d’entrée en amenant quelque chose en partage.

Pour le reste, il ne manqua jamais qu’à mes doutes et remises en question, il ne se trouva quelqu’un, plus anciennement arrivé – de plusieurs générations antérieures souvent – pour éclairer ma lanterne et m’éviter toute dérive dans mon projet migratoire.

Tout cela c’est passé, il faut le dire, longtemps avant le 11 septembre 2001, longtemps avant que Richard Martineau ne devienne chroniqueur au Journal de Montréal et du haut de sa science supposée ne se mette à semer les anathèmes, longtemps avant la Commission Taylor & Bouchard qui a plus embrumé la pensée québécoise qu’il ne l’aura édifiée. Le Québec avait encore des philosophes qui osaient penser ou repenser la société et des chefs politiques capables de saisir ces pensées pour les mettre en œuvre et faire avancer le pays.

Depuis, hélas! La belle Province semble avoir cessé d’être le «pluss meilleur pays au monde»; sa presse est devenu une machine à lyncher; le courage de ses dirigeants et de ses élites – les héritiers indignes de ceux qui ont fait la Révolution tranquille et, en quatre décennies, forcé les portes du G9 en partant de presque rien – a fondu sous l’effet du réchauffement de la planète; sa société est devenue frileuse. Mais une chose demeure : la force du groupe, fut-il ethnoculturel. Et ses apports.

Appartenances assumées

Dans notre cas, venant de cinq pays différents mais devenus maghrébin pour trouver une masse démographique suffisante pour nous rendre visible; constituant – depuis que le Québec assumant la responsabilité de son immigration a décidé en 1994 que le Maghreb serait bassin privilégié d’immigration francophone – l’essentiel des apports démographiques avec  près de 10 000 nouveaux arrivants par année; il nous manquait quelque chose : l’organisation et la solidarité qui nous permettraient de sortir du statut de «communauté émergente» pour devenir partie prenante dans la vie de ce qui est maintenant notre pays, mais qui ne nous fera jamais oublier nos valeurs originelles.

Depuis une quarantaine d’années, des efforts récurrents étaient consentis par nombre de gens de bonne volonté qui ont, devant la lourdeur de la tâche, renoncé un à un à leurs visions, espoirs et ambitions collectives. Mais aujourd’hui il semble bien que le projet soit mûr. On n’en voudra pour preuve que la récente initiative d’une structure, dénommée Congrès des Marocains du Canada, dont la section Grand Montréal, vient de réussir coup sur coup, à réunir un grand nombre d’acteurs  associatifs, économiques et politique canadiens d’origine marocaine, toutes confessions confondues,  autour de deux projets hautement symboliques : célébrer l’appartenance au Québec en fêtant la Saint Jean Baptiste, puis célébrer la fidélité aux valeurs d’origine en fêtant une date déterminante de l’histoire du Maroc.

Ces événements, constituant en fait l’acte de naissance de la structure, ne sont au surplus que le prélude à un plan d’action stratégique qui fait l’unanimité, mais dont les déclinaisons en actions collectives et collectivement menées et soutenues, ne maqueront pas de faire de nous tous de vrais québécois, de vrais canadiens et, en même temps, de vrais marocains.

Edito 164 du 15 septembre

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