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Canadiens, Citoyens du Monde

Atlas.Mtl num 165 du 29 septembre au 23 octobre 2011

C’est toute une controverse qui a cours en ce moment, autour du droit des canado-tunisiens, au nombre de 16.500, de participer, ou non, au scrutin prévu le 23 octobre prochain pour l’élection des membres d’une Assemblée chargée de rédiger une nouvelle constitution destinée à concrétiser les acquis de la révolution qui, il y a huit mois, mettait fin à trente années de dictature et ouvrait la voie vers la démocratie

Au su de l’importance de la consultation populaire en question, le Canada «espère» certes «que les ressortissants tunisiens au Canada auront la possibilité de voter à ces élections même s’ils sont hors du pays», mais pour autant il n’en désire pas moins  que «la Tunisie évite de créer une circonscription électorale qui inclurait le Canada» étant donné que «personne ne devrait représenter le Canada – ou une partie du Canada – dans une assemblée étrangère élue. Cette politique ne s’applique pas seulement à la Tunisie. C’est une question de souveraineté canadienne» déclare John Baird, ministre des Affaires Étrangères qui «souffle» même une «solution» : l’application par la Tunisie de la «procédure de l’électeur absent» autrement appelée vote par procuration ou vote par correspondance.

L’attitude du gouvernement va ainsi – et c’est une nouveauté puisque douze autres consultations électorales concernant des pays tiers ont pu avoir lieu au pays – à l’encontre d’une pratique largement répandue de par le monde par laquelle de tels scrutins sont acceptables si les bureaux de vote  sont situés à l’intérieur de représentations diplomatiques et consulaires, locaux  bénéficiant d’extraterritorialité.

Cette soudaine raideur d’Ottawa à un sens qui n’a cependant pas été formulé et encore moins débattu. Avec l’essor des moyens de transports internationaux, l’accélération des mouvements migratoires et le développement des appartenances nationales doubles ou multiples,  de nouveaux concepts que personne ne maitrise encore vraiment, apparaissent. Ces concepts en bousculent  d’autres qui semblaient jusque là bien établis; ils mettent à mal bien des certitudes y compris celles, telle la citoyenneté, considérées comme fondement des principes d’État et de Nation. Et c’est cela qui dérange et embarrasse.

Pour le Canada en effet, peupler le territoire national et parer le risque de déficit démographique est un défi majeur. Dès lors, il est normal, pour certaines parties de la population et de la classe politique du moins, qu’un Canadien ne soit que canadien même si, en principe, multiculturalisme aidant, il est tout aussi important de se sentir canadien que de faire valoir ses propres origines culturelles et nationales.

Mais une réflexion sur le sujet reste à mener. La voie est balisée d’ailleurs, par des expériences internationales comme celles de l’Espagne ou du Maroc. Dans ces deux pays, qui ont été tour à tour pays d’émigration et d’immigration avant de devenir les deux à la fois, on forgé de nouveaux concepts, tels la «citoyenneté de résidence» à la faveur de laquelle on a été jusqu’à autoriser le vote des résidents étrangers aux élections locales. Il a de même été veillé, avec rigueur, que dans les textes légaux fondamentaux, aucune disposition (et parfois aucun mot) pouvant être considéré comme attentatoire à la souveraineté des «pays hôtes» ne soit inscrite. Le tout avec beaucoup de souplesse et bien plus de clarté que n’en contient  aujourd’hui la déclaration de John Baird.

Un tel débat, le Canada doit le mener, car notre pays abrite des canadiens de 189 nationalités d’origines nationales différentes. Dans tous ces pays d’origine, la démocratie à ses quartier ou est en train de prendre ses quartiers; tous les quatre ou cinq ans dès lors, 189 consultations électorales pourront avoir lieu avec des effets jusqu’au Canada, à défaut d’une réponse murement réfléchie et conforme à l’esprit de notre temps, on sera 189 fois tous les quatre ans au prise avec la même question et la même (absence) de réponse.

Post Scriptum : Dans le cas tunisien, précisons que, contrairement à ce que semble penser M. Baird, les futurs élus ne seront pas des représentants du Canada à la future Assemblée nationale tunisienne. Ils ne seront pas investis non plus d’un mandat de représentation mais d’un mandat limité, consistant à élaborer une Constitution garantissant une démocratie à venir. Empêcher les canado-tunisiens d’être électeurs ou éligibles reviendrait surtout à priver une démocratie en construction de l’accès à la source du droit constitutionnel canadien et de l’inspiration que peut constituer le modèle canadien. Cela donnerait aussi à penser que le Canada est un pays de fermeture et non pas un pays d’ouverture. Tout cela ne nous ressemble et ne ressemble pas à l’image que nous nous plaisons à nous faire du pays que nous avons adopté et qui nous a accepté, faisant de nous des citoyens Canadiens et, comme tous Canadiens qui se respectent, des Citoyens du Monde. Et nous ne voulons surtout pas penser que l’élection de Marguerite Yourcenar à L’Académie Française (car il s’agissait d’une élection dans une institution étrangère, avec représentation du pays d’origine dans ce qu’il a de meilleur, les Arts et lettres) soit ainsi condamné, même par contumace et avec effet rétroactif.

Abdelghani Dades (Edito Atlas.Mtl du 29 septembre)

Atlas Media (journal Atlas.Mtl num 165)

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