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M’Hamed Bennani-Karim «Est-il possible de faire des affaires sans renoncer à vivre ?»

L’homme a trois enfants, de 12, 13 et 25 ans ; lui-même n’en parait cependant pas trente. Mais son apparence est très vite démentie par son discours : la voix est posée, les mots justes et les idées structurées. L’expérience sert de ponctuation ; une expérience que l’on devine impitoyable, riche de leçons sur la vanité des choses et des succès …

Car même si M’hamed Bennani-Karim, que nous rencontrons dans l’un des ses commerce de la rue Sainte Catherine, a connu très jeune beaucoup de grandeur ; il a eu très tôt à affronter certains de ses aléas qui vous font mesurer la fragilité de l’existence. Dans cette oscillation entre les extrêmes, il a su puiser un sens du juste milieu, une soif de justice et d’équité, une sainte horreur de l’inaction et un besoin de se mettre au service des autres et de la collectivité qui définissent parfaitement ce que citoyenneté devrait signifier.

Discuter avec lui c’est discuter avec l’un de ceux parmi les Marocaines et les Marocains qui sont déjà en mode débat et en mode citoyenneté assumé ; sans doute ceux par qui le changement est advenu, et à travers lesquels il trouvera sa juste mesure. Ils sont, heureusement, plus nombreux qu’on pourrait le croire. Ils vivent au Maroc bien sûr mais aussi hors du pays d’origine. Ces derniers nous intéressent tout particulièrement. Ils sont plus proches de nous et nous partageons avec eux une citoyenneté qui passe par-dessus les frontières et le temps. Comme nous, ils pensent en termes de mobilité, d’intérêts citoyens communs à deux pays à la fois, ils sont engagés dans leur(s) communauté(s) etc.

En ce sens, leurs parcours de vie devraient nous intéresser tous, car chacun à un enseignement à délivrer et la somme de ces enseignements donnera un sens et une signification utiles à cette citoyenneté à laquelle nous aspirons tous. Voici donc le parcours et le portrait de M’hamed Bennani-Karim.

Grandir…

Août 1987 ; un jeune homme plein de l’innocence de ses seize printemps, débarque à Montréal, en pleine canicule et avec pour tout viatique, 300 dollars en poche. Il vient du Maroc, il vient faire ses études au Canada, du moins c’est ce que croient ses parents et amis restés au pays. Mais lui, certes n’a-t-il pas de plan préconçu, cependant son rêve c’est de réaliser un «rêve américain» auquel il croit dur comme fer…

De fait, en moins de deux ans, quelques jours avant de célébrer son dix huitième anniversaire, il décroche un premier diplôme tout sauf académique : il devient millionnaire (en dollars).
D’emblée en effet, il avait décidé que la meilleure école qu’il pouvait fréquenter était celle de la vie et avait bifurqué vers le commerce.

Le premier million, il l’utilisera pour développer son affaire. Installé dans le commerce du cuir et de la fourrure, il se donne un atout qu’aucun concurrent ne pourra jamais lui prendre. Fort de cet avantage concurrentiel, il ouvre un deuxième, puis un troisième magasin. Il y en possédera jusqu’à dix sept. Mais jamais un de plus alors qu’il aurait pu étendre sans fin son empire. Pourquoi ? «parce que j’avais créé un monstre, dit-il, et il était en train de me manger». «Plus de loisirs, presque plus de vie de famille, travail, travail et encore travail ; cela devenait intenable !»

Ceux qui l’ont connu alors, y compris ses amis casablancais retrouvés ici, confirme qu’ils ne le reconnaissaient plus ; dans les milieux associatifs et communautaires, dans les associations caritatives et culturelles, qu’il continuait de soutenir matériellement comme il l’avait toujours fait auparavant, on le voyait de moins en moins…

Changement de cap

Une question commence alors à le tarauder : «est-il possible de faire des affaires sans renoncer à vivre ?». Apparemment, il a trouvé une réponse. Celle-ci, assez paradoxalement, ne se décline plus seulement sur 17 magasins, mais sur deux pays : le pays d’origine et le pays d’accueil, distants de plusieurs milliers de kilomètres, permettant de servir également leurs intérêts.

Il s’agit en fait, dit-il, de «trois projets» ; tous trois ayant en commun de «créer beaucoup d’emplois et de valeur, de permettre d’intéressants transferts de technologie». «J’y pensais depuis longtemps ; je les met en place depuis un an; ils devraient, une fois achevés, constituer une sorte de plateforme Canada-Maroc qui permettra de saisir quelques unes des innombrables opportunités offertes par le projet d’accord de libre échanges qui va bientôt lier les deux pays».

Cela veut-il dire que M’hamed Bennani-Karim à oublié que son propos premier était d’abord de redevenir seul maitre de son temps et de son agenda ? «Certainement pas ! répond-il, je ne vous en dirais pas plus pour l’instant, mais soyez sûrs que j’aurais assez de temps pour respecter tous mes engagements associatifs et peut-être plus.»

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